Mère est le troisième opus du cycle Domestique, après Seuls et Sœurs et avant la création de Père et Frères. Wajdi Mouawad, est un immense auteur, écrivain, comédien et metteur en scène Libanais et directeur du théâtre national de la Colline.
Sa famille immigre d'abord en France à Paris, puis au Québec à Montréal. Avec une langue imagée et un sens inédit du théâtre, Wajdi Mouawad a l’art de créer des univers poignants et nous invite, dans sa dernière pièce, à le suivre dans ses souvenirs d’enfance.
Je n’ai pas pleuré depuis la mort de ma mère
Le 18 décembre 1987, Wajdi Mouawad a 21 ans, sa mère, Jacqueline en a seulement 55 quand elle est emportée par un cancer.
Par cette confession qu’on entendra dès le préambule de sa création, le metteur en scène pose les bases : Mère sera une plongée au fond de son intimité, aux tréfonds de ses souvenirs, un monde à mi-chemin entre réalité et fiction, celui que l’artiste aime tant cultiver.
Une famille chassée par la guerre au Liban, une mère courageuse, et lui, l’enfant de 10 ans découvrant un pays et une langue dont il ne connait rien mais dont il deviendra quelques années plus tard, un de ses plus grands auteurs.
Sa mère a rendu son dernier souffle à Paris, dans cet appartement du XVe arrondissement, où elle s’était installée, avec ses 3 enfants, Nayla, Naji et Wajdi, à la fin des années 1970. Le père lui étant resté à Beyrouth pour continuer à travailler.
Cinq ans d’attente et d’inquiétude, durant lesquelles tous espèrent la fin de cette guerre pour retrouver leur vie d’avant.
« Et maintenant je suis là, comme à l’intérieur d’une paupière fermée et je pense aux yeux de ma mère et je ne sais pas pourquoi, ces yeux-là, bien plus que les miens, me donnent envie de pleurer. » W. Mouawad
Cette mère, bientôt épuisée mais qui reste drôle, que la comédienne Aïda Sabra, joue avec intensité, nous faisant passer du rire aux larmes.
Dans son propre rôle, Christine Ockrent est étonnante, racontant les actualités de l'époque, son personnage incarnant une France fantasmée par cette famille malmenée.
Le petit Wajdi assiste, sans pouvoir réagir et sans en prendre vraiment conscience, à la mort de la personne qui lui est la plus chère. Il ignore alors que ces événements le marqueront à jamais, du souvenir jusqu’à ce spectacle: un tendre hommage à cette mère volcanique, aussi comique que bouleversante.
Du côté des damnés, il y a Bertrand Cantat dont la courte musique a été enregistrée en collaboration avec Bernard Valléry, musique discrète (2 ou 3 chansons) mais qui a pourtant créé la polémique lors de la première représentation au théâtre de la Colline en 2021. Musique qui pourtant s’inscrit parfaitement au propos de Mouawad sur les violences de la guerre.
À travers ses éléments autobiographiques, la pièce dresse le portrait d’une enfance semée de blessures et de pertes irrémédiables. Autant de fantômes et de retours impossibles à la vie que la magie du théâtre rend palpable. Cette pièce est un hymne aux mères et à la vie.
Wajdi Mouawad signe, avec Mère, un troisième opus s’imposant comme le volet le plus sensible du cycle Domestique. L’intime rejoint ici l’Histoire pour un moment de théâtre exceptionnel. À voir à Bonlieu, scène nationale le 22 et 24 février pour les savoyards !