Du 15 oct. au 1 déc. 2024
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En novembre débarque ChatGPT, une intelligence artificielle génératrice de texte. Interface intuitive, elle séduit aussi par ses réponses évolutives. Efficace, elle va jusqu’à semer la pagaille dans un certain pan de l’éducation concerné par les devoirs en distanciels. De là à pousser la direction de Science Po à prescrire son utilisation… Comment est-elle utilisée ? Est-elle si infaillible que ça ? Pour y répondre, témoignage croisé de Kathline, élève en licence et Caroline Blosseville, enseignante.
Crédit photo : C'est quoi ChatGPT ? Réponse de l'intelligence artificielle en février 2023.
C’est quoi ?
On a posé la question à l’intéressé… Ainsi ChatGPT est “un modèle de langage formé avec des milliards de phrases pour comprendre le langage humain. Il est entraîné à générer du texte en fonction du contexte donné et peut être utilisé pour une variété de tâches telles que la génération de réponses cohérentes et pertinentes, la traduction, la rédaction de résumés, etc.”
À l’origine de ChatGPT, OpenAI, une entreprise spécialisée dans le développement en intelligence artificielle (dont fait partie un certain Elon Musk). Depuis qu’il a été mis à disposition du grand public en novembre dernier, les utilisateurs s’en servent à toutes les sauces. Au point de faire peur aux grandes écoles telles que Science Po. Dans un communiqué, la direction annonce “que l’utilisation, sans mention explicite, de ChatGPT, est pour l’instant strictement interdite lors de la production de travaux écrits ou oraux par les étudiants sous peine de sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’exclusion de l’établissement.” L’école justifie ce choix en précisant être “soucieuse de garantir la qualité et l’intégrité de ses formations et de ses diplômes.” Ainsi vient la question de l’usage : dans quelle mesure ChatGPT peut-il aider les élèves ? Témoignage de Kathline, étudiante en L3 Information-Communication et “grande adepte de l'IA ChatGPT”.
Vu que c'est de la réécriture, ça fonctionne tout le temps
“Lorsque j'ai vérifié les dires de l'IA, beaucoup d'infos étaient fausses”
Un travail non sauvegardé sur ordinateur. Voilà comment Kathline est venue à utiliser ChatGPT. “Franchement ça m’a sauvé la vie !” s’exclame-t-elle. Depuis fin novembre, l’étudiante a réalisé quelques projets avec son aide. Au début, ce n’était pas un gain de temps, bien au contraire : “il avait fait une fiche de lecture entière grâce à ça, mais lorsque j'ai vérifié les dires de l'IA, beaucoup d'infos étaient fausses… par exemple lorsque l'on a demandé à l'IA de présenter Laurence Levenel-Martel, l'autrice de l’article étudié, toutes les infos étaient fausses. Pareil pour les personnes qu'elle aurait cité dans son article. J'ai tout refait, sur le fond en tout cas.”
Crédit photo : © Midjourney
Depuis, elle constate une amélioration de l’IA : “j'ai posé une question de fond, et cette fois toutes les infos étaient véridiques.”
Après avoir exploré un peu les possibilités, Kathline l'utilise pour mettre au propre ses notes de brouillons prises en cours. “Vu que c'est de la réécriture, ça fonctionne tout le temps. C’est un temps fou de gagné sur la rédaction”. L’intégralité de ses dossiers rendue ont été rédigée, tout ou en partie, grâce à l’outil. Elle tempère tout de même l’utilisation de ChatGPT : “pour la prise de note, c’est top. Aucun de mes proches ne l'utilise, mais je le recommande fortement. De toute façon, son usage n'est pas possible dans certaines matières comme pour les partiels en présentiel”.
Impossible de nier non plus l’aspect déontologique de ChatGPT : l’étudiante en licence admet que pour les dossiers à rendre, cela peut être considéré comme “de la triche”.
“Ça peut être intéressant, mais c’est aussi se mettre une balle dans le pied en tant que pédagogue.”
Mais alors qu’en pense le milieu éducatif ? Avec de plus en plus de copies réalisées avec l’IA, le corps enseignant s'intéresse à son utilisation. Après deux copies litigieuses dans sa classe de terminale, spécialité HLP (humanités, littérature et philosophie), Caroline Blosseville, professeure de Lettres depuis 31 ans, s’est penchée sur le cas ChatGPT. Elle témoigne.
Moka. Quel était le sujet ?
CB. Une dissertation avec comme question : “l'expression de la sensibilité n'est elle que l’apanage des femmes ?”. Même si cela n’était pas clairement indiqué, il semblait aller de soi qu’il fallait se référer au texte support de Simone de Beauvoir ainsi qu’utiliser les références du cours. Ça a été compris par tout le monde sauf ces deux copies… d’où la suspicion de triche.
M. Qu’ont données les deux copies ?
L’un a fait tout un devoir avec des références peu connues ou très contemporaines. Il a développé sur la sensibilité des Hommes, sachant que le plan du sujet avait été fait en classe. L’autre élève s’est servi de références universitaires que je ne connaissais pas du tout. C’était intéressant, mais avec une seule partie du plan développée. Leur qualité d’expression -un niveau de langue assez soutenu- m’a permis de déceler les fausses copies. Elles avaient aussi une structure très académique : “pour commencer”, “en fin de compte”, “ainsi”... Pour autant, quand j’ai tapé le sujet de la dissertation, je n’ai pas obtenu les mêmes résultats qu’eux. Seul point commun : le raisonnement étape par étape très bien structuré, et extrêmement scolaire.
J'avoue qu'il est très intelligent, mais je ne me vois pas faire cours avec, même si ça peut être une tentation quand on n’a pas le temps de travailler certains sujets.
M. Après avoir testé ChatGPT, quel est votre avis ?
La connaissance proposée par l’outil est très intéressante, d’autant que c’est succinct. Elle est vulgarisée de façon assez juste et pertinente. Cela permet aux élèves d'avoir accès au contenu universitaire qui est souvent difficile à chercher sur internet. Là, il y a une libéralisation de la pensée, une ouverture vers des écrits universitaires. ChatGPT peut être une base de travail, mais cela pose vraiment la question du rapport au travail des élèves. Pour l’heure, son utilisation démontre que le résultat est plus important que la connaissance pour eux.
M. En parlez-vous avec vos collègues ?
Oui on en parle beaucoup. J’ai des collègues qui ont eu des devoirs de maths ou de philo faits comme ça. Même chose, il y avait des références universitaires qu’il ne connaissait pas. Avec un degré de pertinence et de réflexion qui n’est pas abordé au lycée. On commence à en parler depuis fin décembre. Pour l’instant on n’a pas la parade : comme on ne s'est pas concerté sur la manière dont on allait procéder en cas de “triche”, soit on demande à l’élève de refaire le sujet en classe, soit on l’interroge sur un élément de sa copie en lui demandant de l’expliquer à l’oral.
M. À terme, envisagez-vous de l'utiliser en cours ?
J'avoue qu'il est très intelligent, mais je ne me vois pas faire cours avec, même si ça peut être une tentation quand on n’a pas le temps de travailler certains sujets. En revanche, on pourrait utiliser ChatGPT pour montrer aux élèves comment affiner un questionnement puisqu’il répond de manière très succincte. Ça peut être intéressant, mais c’est aussi se mettre une balle dans le pied en tant que pédagogue !
Article rédigé par Mia Pérou
