À 35 ans, Serge Vuille a pris la direction artistique de l’Ensemble Contrechamps en mai dernier. Percussionniste, compositeur, enseignant au Royal College of Music de Londres… Cet esprit curieux entend conduire la formation genevoise vers de nouveaux horizons esthétiques et pluridisciplinaires.
Présentez-nous l’Ensemble Contrechamps…
Composé de 23 musiciens, l’Ensemble Contrechamps est une formation très flexible que j’aimerais emmener dans trois directions : d’une part, vers une interprétation fraîche et engagée du répertoire existant des 20ème et 21ème siècles. Une deuxième orientation vise à soutenir les compositrices et compositeurs vivants de toutes les générations : des plus établis aux nouveaux talents. Mon troisième objectif consiste à ouvrir la musique instrumentale à d’autres disciplines en cherchant leurs points communs et les moyens d’interagir.
La mise en scène joue-t-elle un rôle prépondérant dans la musique contemporaine ?
Traditionnellement non, pas forcément. Mais pour moi, nouvel arrivant, c’est un sujet important. Par exemple, la tenue généralement noire des musiciens est un choix dont je souhaite m’écarter pour justement, « déformaliser » le genre. Tout concert est un moment scénique et y prêter attention met également la musique en valeur.
En quoi votre âge peut influer sur Contrechamps ?
Je pense appartenir à une génération qui souhaite un renouveau de la scène de la musique contemporaine. L’ouverture esthétique et l’intégration des nouvelles technologies sont deux éléments importants, ainsi que l’exploration du potentiel scénographique, théâtral et performatif de la musique. Un travail incroyable a été effectué au sein de Contrechamps durant les quarante dernières années. Je souhaite amener de nouvelles pistes pour continuer à développer l’ensemble tout en mettant en avant son histoire.
Avez-vous mis votre patte sur la programmation en cours ?
La saison a été principalement mise en place par mon prédécesseur. J’y ai apporté quelques idées comme les Sculptures sonores de Rebecca Glover ou encore, le concert de Maryanne Amacher avec Bill Dietz marqué par l’expérimentation des phénomènes psycho-acoustiques. Cette saison, mon travail consistera principalement à la mise en contexte, la redéfinition de la manière dont l’Ensemble se présente. Nous réfléchissons à tout ce qui concerne l’habillement, le bar, l’accueil des spectateurs, le choix des salles. J’ai parfois l’impression que les réticences que peut éprouver le public vis-à-vis de la musique contemporaine sont davantage dues au format du concert qu’à la musique elle-même. En tissant une ambiance accueillante, on peut ouvrir des portes, aller à la rencontre d’un public large et bigarré.
Concrètement ?
En mettant l’accent sur un moment social. La découverte, l’appréciation d’une œuvre artistique demandent un investissement, un effort de concentration. Mais l’échange, le verre que l’on prend avant est primordial pour établir une relation de confiance entre le public et l’artiste. Si je connais le compositeur, je serais plus ouvert, plus à même d’apprécier son travail. C’est pourquoi nous proposons des rencontres avant le concert, autour d’un apéro ou d’un repas pour donner l’opportunité d’échanger avec l’artiste. L’idée est de créer un contexte social autour de la musique pour la mettre en valeur.
Citez-nous quelques figures emblématiques de la saison 2018/2019…
Un évènement significatif aura lieu le 16 novembre avec une création de Samuel Andreyev et une autre d’Alberto Posadas, en collaboration avec le Collegium Novum Zürich. On peut aussi noter la nouvelle édition d’Archipel, le 29 mars prochain, avec une musique de chambre extrêmement raffinée à travers les pièces de Chaya Czernowin, Isabel Mundry, Eva Reiter, Hanna Eimermacher et Anna Korsun. Le 23 mai, nous jouerons un chef-d’œuvre de Pierre Boulez qui a vraiment marqué le 20ème siècle : Sur Incises pour trois pianos, trois harpes et trois percussions. En parallèle, nous présenterons une composition de Fernando Garnero, un programme ambitieux d’une richesse fantastique. Pour finir la saison, le 11 juin, le grand chef d’orchestre Emilio Pomarico viendra diriger l’Ensemble Contrechamps à Genève.
Songez-vous déjà à la prochaine saison ?
La formule que je proposerai pour 2019/2020 mêlera la musique contemporaine expérimentale écrite de manière traditionnelle avec des approches d’expérimentations sonores plus ouvertes qui peuvent inclure des partitions graphiques, des collaborations pluridisciplinaires, des parties d’improvisation, de l’électronique, etcétéra… J’imagine un dialogue à l’intérieur d’un même programme entre ces différentes esthétiques pour qu’elles se répondent, qu’elles s’informent réciproquement et que l’auditeur puisse, au cours d’une soirée, construire une image, une réflexion sur ces esthétiques.
Propos recueillis par Nathalie Truche