« Dahmer », « The Crown », « Le Serpent » ou encore « Le Jeu de la dame ». Étendard des plateformes de streaming, les adaptations de fait réel font sensation ces dernières années. Il faut dire que le public est friand de faits divers reproduits, en atteste le succès vertigineux de Dahmer, en tête des programmes les plus regardés sur Netflix dans 92 pays. Seulement, les procès s’enchaînent pour les plateformes : la frontière entre liberté d’expression, diffamation et plagiat semble plus que jamais trouble. Tour d’horizon de ses productions qui plongent les mastodontes du streaming dans la tourmente.
« SI JUSTIFIER UN CAS DE PLAGIAT EST DÉLICAT, IL N’EN RESTE PAS MOINS UN DÉLIT »
DE LA FICTION À LA DIFFAMATION
Avant d’aller plus loin, un rappel de vocabulaire est nécessaire. Comme on peut le lire dans le dictionnaire Robert, la fiction est « une création de l’imagination, une construction de l’imaginaire ».
Ensuite, selon la loi du 21 juillet 1881, la diffamation est un « concept juridique désignant un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne physique ou morale ». La différence paraît claire.
Toutefois, lorsqu’une série est « librement inspirée de faits réels », comment estimer qu’elle résulte uniquement d’une construction de l’irréel ?
Demandez donc à la championne d’échec Nona Gaprindashvili, à l’ancienne procureure de Manhattan Linda Fairstein ou encore à Rachel Williams, une ex-journaliste de Vanity Fair, ce qu’elle en pense. Cette dernière, incarnée par Katie Lowes dans la série « Inventing Anna », porte plainte fin août 2022 pour diffamation contre Netflix devant le tribunal fédéral du Delaware.
En cause, sa représentation « totalement fausse et dégradante », lui donnant l’image d’une femme « cupide » et « profiteuse » dans la série.
Elle pointe aussi du doigt les mensonges et les erreurs racontés dans « Inventing Anna », où Katie joue l’ex-meilleure amie de l’arnaqueuse Anna Delvey - jeune femme russe, qui escroqua plusieurs milliers de dollars à des jeunes new-yorkais faisant partie de la haute société.
INSPIRATION, HOMMAGE OU PLAGIAT : IL N’Y A QU’UN PAS
2013. Disney sort la Reine des neiges au cinéma. C’est un succès fou. En quelques semaines, « Libérée, délivrée » devient la hantise de nombreux parents. Tout particulièrement celle de Jaime Ciero.
Pour cause, l’artiste chilien accuse Disney de s’être fortement inspirée de « Volar », son morceau à succès sorti en 2008. 4 ans plus tard, il entame des poursuites judiciaires pour plagiat visant l’entreprise et les auteurs de la version originale Idina Menzel et Demi Lovato.
Si justifier un cas de plagiat est délicat, il n’en reste pas moins un délit.
Selon la loi, le plagiat « se produit lorsqu’une personne s’approprie le travail original de quelqu’un d’autre, et donne pour sien ce qu’il a pris à l’œuvre d’un autre sans le citer. »
Si bien souvent ces procédures ne mènent à rien, certains cas ont pu déstabiliser les géants du streaming. 1899 en est l’exemple.
Dernier bébé de Netflix, la série inédite imaginée par Jantje Friese et Baran bo Odar - créateurs de la superbe série Dark - à indigner.
En cause, non pas son splendide scénario, mais sa troublante ressemblance à une BD brésilienne. « J’ai été choqué le jour où j’ai découvert que la série 1899 ressemble trait pour trait à ma bande dessinée Black Silence, sortie en 2016. »
L’autrice Mary Cagnin a affirmé dans un incendiaire fil twitter que 1899 n’était qu’un énorme plagiat de son roman graphique, « Black Silence ». Après un rapide coup d’œil aux éléments graphiques et à l’intrigue, difficile de laisser le bénéfice du doute aux deux créateurs. Les scénaristes ont nié en bloc, soulignant ne connaître « ni l’artiste, ni son travail ou la bande dessinée ».
Si le plagiat était avéré, le contrecoup pour Netflix serait probablement (très) élevé au vu de la réglementation intransigeante des droits d’auteur. Toutefois, à quel moment peut-on prouver qu’il y a plagiat lorsque certains motifs de science-fiction sont inhérents à beaucoup d’autres œuvres du genre ? C’est à la justice de trancher
DIVERTISSEMENT, OUI, MAIS JUSQU’OÙ ?
Ces dernières années, les plus gros succès des plateformes - et des chaînes télévisées - sont les adaptations de fait réel. Et alors, s’il y a du sang et du meurtre, c’est une réussite quasi assurée.
Depuis septembre, la série « Dahmer » a morbidement fasciné des millions d’utilisateurs. La fiction signée Ryan Murphy et Ian Brennan est devenue l’un des plus gros hits de la plateforme. Cependant, la famille du serial killer menace d’attaquer Netflix en justice. Au-delà d’un positionnement éthique questionnable (une histoire « glamourisée »), les Dahmer dénoncent l’utilisation d’enregistrements personnels sans autorisation.
De plus, le père de Jeffrey partageait, au média The Sun, être « irrité » que les producteurs ne les aient pas contactés en amont du projet
« SÉRIE HOMMAGE, DEVOIR DE MÉMOIRE OU PUR PRODUIT MARKETING… »
Autre cas notable, la série policière « Le Serpent » avec Tahar Rahim. Pour bien commencer 2023, BBC et Netflix se retrouvent (déjà) poursuivis en justice.
La victime ? Charles Sobhraj, alias Le Serpent, libéré de prison pour raisons médicales. Aujourd'hui âgé de 78 ans, le tueur français, qui a assassiné de jeunes touristes entre 1975 et 1976 dans le Sud-est asiatique, estime que la fiction lui donne « une réputation complètement falsifiée » puisqu'il nie tous les crimes qui lui sont imputés…
Vraiment ? On aura tout vu. Série hommage, devoir de mémoire ou pur produit marketing… On ne peut nier l’intérêt que nous portons à ces productions.
Une question demeure : à quel point le divertissement peut-il puiser dans la réalité, tout en préservant l’intimité des victimes et des familles ?
Mia Pérou