Avec “Nébula”, la danseuse et chorégraphe Vania Vaneau livre un envoûtant solo. Celle qui travaille également au côté du grand chorégraphe Christian Rizzo, livre un rituel tellurique de réparation du corps et du monde. Elle y aborde la relation du corps humain avec la nature, le tout dans un univers post-apocalyptique. Nous l’avons rencontré à Annecy, quelques instants après son filage à Bonlieu Scène Nationale.
Comment s'est passé le processus de création de Nébula ?
C’est parti d’un sentiment d’urgence, une nécessité de faire cette pièce. Assez vite, j’ai souhaité sortir du format classique “studio, “théâtre”, et penser la pièce un peu comme une expérience. J’ai décidé de travailler en grande partie dans la nature, en extérieur. J'ai alterné les temps en intérieur et les résidences dans la nature. Le premier temps de travail était en 2019, avant la covid.
Comment est-ce que la pandémie a affecté ton travail ?
Ça a bien coïncidé avec la situation. La pièce était liée à une sorte de situation apocalyptique, avec un constat d'une nature détruite. Puis une projection dans un monde à venir : qu’est ce que ce serait, quels pourraient être les nouveaux rapports entre les éléments et entre les êtres. Ensuite, la covid a aidé pour travailler dehors et continuer à faire les résidences.
Comment adapte-t-on en intérieur un spectacle pensé dans la nature ?
J’ai alterné les deux espaces de telle sorte que les deux versions se sont construites en même temps. Ce n’est pas une adaptation d’un espace à un autre, ça s’est vraiment créé en parallèle. Chaque expérience alimentait l’autre. Des choses qu’on peut plus facilement construire sur un plateau (l’écriture, l’attention, les choix) allaient servir en extérieur. De l’autre côté, quand j’arrivais à l’extérieur, toute l'expérience de la nature, des éléments, nourrissait le travail au plateau.
Tous les éléments se transforment, rien n’est posé là comme un décor. [...] Les éléments ont leur propre vie, ils bougent avec l’air, la lumière.
Tu travailles avec différentes matières, comme le charbon, des bols ou des lentilles… Quand est venu ce choix ?
Le charbon, c’est la première chose qui est venue. Puis l’envie de travailler avec des gestes et des pratiques un peu “premières”, ancestrales, artisanales : la vannerie, la poterie, les gestes pour travailler la terre, des outils qui vont avec… est arrivée dans le processus. Au début, les bols étaient en pierre puis, en travaillant avec la scénographe, on a cherché des matières qui étaient plus technologiques, futuristes, pour faire le contrepoint. Plus tard sont venus les lentilles, les fours solaires, etc. C’est une sorte de technologie à la fois un peu rudimentaire, archaïque.
Comment s'est passée la création avec la scénographe Célia Gondole ?
C’était la première fois que je travaillais avec une scénographe. Ensemble, on cherchait à la fois des éléments plastiques et des actions. Tous les éléments se transforment, rien n’est posé là comme un décor. Ce n’est pas une scénographie qui est figée : les éléments ont leur propre vie, ils bougent avec l’air, la lumière. Tous les éléments sont liés. La musique, les sons, ont un rapport avec le mouvement. Rien n’a été collé sur quelque chose de déjà fait.
L’art c’est créer quelque chose qui n'existait pas auparavant, en se basant sur des choses qui existent.
Où es-tu allée piocher tes inspirations ?
C’est très ouvert. Je suis brésilienne donc il y a un imaginaire nourri par les pratiques amérindiennes, par l’animisme. Un peu toute cette transformation des êtres chimériques. Considérer que les éléments dans la nature ont aussi leurs esprits propres (les pierres, les rivières, les arbres, etc). Je me suis inspirée de plasticiens, d’artistes contemporains. Mais aussi des éléments cosmiques, sur les galaxies, les télescopes pour observer l’espace.
Est-ce que tes études de psychologie ont, en un certain sens, imprégnées ta création ?
Ce n’est pas directement lié. Mais c’est lié à mes lectures sur l'anthropologie, la philosophie. Ces autres visions de l’humain, du monde, aident à créer un autre monde. L’art c’est créer quelque chose qui n'existait pas auparavant, en se basant sur des choses qui existent. La psychologie sur la perception, des états de conscience, la plasticité du cerveau… En tant que danseuse, cela m'intéressait déjà.
Le filage, c’est aussi apprivoiser de nouveau les actions. Même si c’est un solo, il faut se coordonner avec la lumière et le son : on joue ensemble.
Quelle est l’importance des filages ?
On le fait à chaque fois. Aujourd’hui, c’était important de la faire avec le nouveau régisseur lumière. Il y a énormément de détails et de “tops”, de correspondances entre la lumière, le son, les actions. Il y a beaucoup d’objets aussi. À chaque fois, il faut se réaccorder les uns avec les autres. En fonction des lieux, on doit s’adapter à l'espace, réfléchir aux lumières. Le filage, c’est aussi apprivoiser de nouveau les actions. Même si c’est un solo, il faut se coordonner avec la lumière et le son : on joue ensemble. Apprendre les séquences d’une pièce est un long processus pour les régisseurs. C’est pour ça qu’on repasse, qu’on répète inlassablement.
Quelle était l’idée derrière Nébula ?
Pour moi, l'art n'a pas à envoyer un message. C’est une expérience partagée. Il y avait cet état d’urgence de devoir agir face à une certaine fatalité. Une rupture, un virage, un basculement. Nébula, c’est exploré ce qu’on allait regarder de l'autre côté, après que tout soit détruit. Se poser cette question-là… "qu'y a-t-il après la fin ?". (rire)