« Cherche deux colocataires pour partager une grande maison jusqu’en septembre. Avant démolition lumineuse. Charme de l’ancien. Loyer modeste. »
Ainsi s’ouvre cette bande dessinée comme s’ouvre grand la porte de cette maison condamnée à la démolition.
L’héroïne de cet album, c’est ce logis douillet ; un bâtiment prochainement détruit que trois êtres aux parcours tortueux habitent une dernière fois.
Dans leur abri, protégés par les briques chaleureuses, il font le point sur leur vie. Je n’ai pas pu m’empêcher d’être en totale empathie avec cette bicoque au charme fou. Est-elle consciente de bientôt passer au bulldozer ?
Et ses locataires, pelotonnés entre ses murs condamnés, comment vivent-ils sa future démolition ?
Tous se font du bien, la maison profite aux habitants et vice-versa.
Parmi les habitants des derniers instants, l’une est blessée à cause d’une chute de cheval, un autre rapetisse d’un chagrin d’amour, un troisième cherche son talent rare et la voisine qui allaite sent les douleurs de chacun et se rêve petite fille à nouveau.
Tous se confient, chacun y va de sa vision du monde. Souvent un peu défaitiste. Mais toujours, une tasse de thé brûlant peut amenuiser les soucis. Rien n’est définitif dans leur souffrance.
D’emblée, je l’ai aimé fort ce livre. Et je souhaite à chacun d’avoir un jour un choc artistique similaire à celui que j’ai .connu lorsque j’ai lu mon premier album de Marion Fayolle,
La tendresse des pierres ! Cet album tendre et rugueux à la fois, mettait en scène de manière magistrale la maladie et le décès du père de l’autrice. Si le sujet est d’une tristesse palpable, tout y est beauté, sincérité et tendresse.
Ce choc artistique et émotionnel, je l’ai éprouvé par la suite à la lecture de tous ses autres livres et ça n’a pas manqué avec La maison nue, le dernier venu.
Aujourd’hui, je suis particulièrement flattée de pouvoir parler librement ici de cette autrice chère à mon coeur et de cette maison si spéciale ; lieu protecteur de toutes les souffrances, doutes et hésitations de ses locataires. En son sein, chacun est protégé de la folie du monde extérieur, de ses propres démons.
Cette colocation bienveillante et chaleureuse maintient chacun des protagonistes dans un cocon rassurant qu’il faudra bientôt quitter.
Je ne peux que comparer la protection qu’offre cette maison à ses habitants à la muraille protectrice que composent les albums de Marion Fayolle autour de mes propres émotions. J’ai envie de m’y réfugier et de faire de ces livres un barrage contre le monde réel et ses assauts.
Dans les histoires de Marion Fayolle je me sens contenue, au calme, entourée de gens bienveillants. C’est fort et rare de se sentir ainsi comprise et protégée.
À la fin; on ne sait même plus trop quelle expérience on a vécu. A-t’on lu une BD ? Assisté à une pièce de théâtre ? Ou bien à un spectacle de danse ? A moins que l’on ne soit en train de construire un puzzle ? Je n’en sais rien ! Mais je sais tout le bien que ça me fait, de me perdre dans ces tout petits traits et dans ces teintes douces et lumineuses caractéristiques de la minutie de Marion Fayolle dont la précision du dessin et des mots est impeccable.
Gaëlle Poirier