Hier s'est ouvert la 47e édition du Festival international du film d’Animation à Annecy. Dans la grande salle de Bonlieu, précisément. Entre lancés d’avions en papier, hommage aux victimes de l’attaque sur le Pâquier, world première de Disney et premier long métrage : il s’en est passé des choses à la cérémonie d’ouverture.
Du festival de Cannes il n’en a pas la parure mais en a le prestige. Chemises, vestes cintrées et pantalons de lin étaient de sortie. Ici, dans la grande salle de Bonlieu, c’est chic et décontracté. 20h05. Les avions de papier traversent la salle, atterrissant tantôt dans le brushing de madame, tantôt dans l’oreille de monsieur. C’est à qui touchera l’écran de cinéma, récoltera le plus grand “oooooh !” ponctué par des cris d'encouragement. La salle est au grand complet, les jury et équipe de productions dans la première moitié, les invitations presses et partenaires dans la seconde. Les rires fusent autant que les avions, tandis que l’on entend de l’anglais, du mexicain ou encore de l’italien. Puis les lumières se tamisent et entre sur scène Marcel Jean, délégué artistique du Festival et hôte de la soirée. Après un discours d’entrée ponctué d’humour (on retiendra qu’à Annecy, on peut manger les “best tartiflettes of France”), la présentation du jury pour cette édition 2023, le discours du maire de la ville, on se rappelera les mots du président de CITIA : “L’animation n'est pas un genre. Non, c’est du cinéma”.
Disney fête les 100 ans de son studio
Sous les applaudissements de la salle, Marcel reprend la main pour introduire les réalisateurs, scénaristes et animateurs Trent Correy et Dan Abraham. Ils ont présenté en exclusivité leur tout nouveau court métrage des studios d'animation Walt Disney, rendant hommage à 100 ans de créations et de personnages qui ont vu grandir plusieurs générations. “Comme vous le savez, aucune photo, aucune vidéo n’est autorisée… Si vous pouviez même faire un effort d’oublier ce que vous avez vu en sortant ce serait super” annonce avec humour l’hôte. Mais comment oublier ce moment d’émotion en admirant, quelque peu nostalgique, nos personnages favoris s’animer à l’écran.
Après cette belle surprise, et pour clôturer la soirée, place à “Sirocco et le royaume des courants d’air”, le long métrage de Benoît Chieux présent en compétition officielle.
On se doute que, oui, cette année encore, Annecy va être l’épicentre d’un art repoussant les limites de la créativité.
Sirocco et le royaume des courants d’air
Cette année, le festival s’ouvre sur un film réalisé par Benoît Chieux (Tante Hilda!, 2014), produit par Sacrebleu Productions, Take Five et Ciel de Paris, et distribué par Haut et Court. Le film d’animation en 2D, scénarisé par Alain Gagnol, conte l’épopée de Juliette et Carmen, deux sœurs intrépides de 4 et 8 ans. Alors qu’elles se retrouvent chez leur voisine et écrivaine Agnès, le temps d’une après-midi, les filles se retrouvent plongées dans l’univers de leur livre favori, Le Royaume des Courants d’Air. Les voilà coincées dans un monde parallèle, transformées en chat, et emprisonnées par le maire, suite à une maladresse de la plus jeune. Tandis que Carmen se voit forcée d’épouser le fils (à l’allure de crapaud) du maire, Juliette est offerte comme animal de compagnie à Selma, la célèbre cantatrice-oiseau. Cette dernière compte bien aider les sœurs à se retrouver et à retourner dans le monde réel pour retrouver Agnès… qui n’est autre que son ancienne sœur.
À qui ose dire que la 2D a fait son temps, détrompez-vous. Épuré et riche, le dernier film de Benoît Chieux réussit le pari d’allier 2D, poésie et aventure, tout en s’adressant aux petits et grands. Le design du binôme est mignon à craquer, deux nanas affirmées criant haut et fort que non, elles ne sont pas des princesses “bonnes qu’à se faire marier”. La dynamique rafraîchissante entre les sœurs n’est pas sans rappeler celle des héroïnes de “Mon Voisin Totoro”. Quant aux personnages hauts en couleur qui gravitent autour, ils sont tout autant soignés. Costumes et formes sont mis en avant par le burlesque des gestuelles (petite pensée à cet antagoniste touffu qu’est le maire de la cité, Uruk).
On aime la simplicité des contours, le trait fin et les couleurs unies qui jalonnent ce paysage. La petite équipe traverse des nuages-rubans, des courants d’air transportant les murmures d’Agnès, des petites maisons colorées et cubistes inspirées de l'architecte néerlandais M. C. Escher.
Le film évoque les voies du deuil, la nécessité de ne pas se fier aux apparences et le champ infini de liberté qu’octroie la créativité. Si l’histoire, simple et sans subterfuge séduit, mais sans pour autant transcender, les chants de Selma mettent tout le monde d’accord. Onirique au possible dans une langue que nos oreilles ne parviennent pas à identifier, ils magnifient ces paysages bleutés et aériens. Des notes pures, aux sonorités arabisantes, presque bouleversantes. Pour rythmer la production de 1h15, le compositeur Pablo Pico (L’Extraordinaire voyage de Marona) signe la bande originale. Et quand la dernière note s'éteint, que la salle est dans la pénombre et que durant 7 minutes, 6 salves d'applaudissements résonnent : on se doute que, oui, cette année encore, Annecy va être l’épicentre d’un art repoussant les limites de la créativité.