Connue principalement pour ses dessins sombres et ses courts-métrages d’animation lyriques comme Histoire tragique avec fin heureuse, la réalisatrice Regina Pessoa était l’artiste choisie pour la réalisation de l’affiche du grand festival du film de l’animation d’Annecy cette année. Inspirée par le lac d’Annecy et les paysages de son enfance au Portugal, l'illustratrice a bien voulu nous rencontrer pour raconter ses inspirations et les secrets cachés derrière son illustration
Peux-tu nous parler de ton enfance au Portugal, et de la manière dont elle t’as inspirée ?
Dans mes films, j’approche souvent les thèmes de l’enfance, mais surtout d’une enfance où l’on grandit alors que tout nous fait peur. J’avais peur du noir, de la différence, de ne pas être comme les autres, parce que j’ai grandi dans un Portugal très pauvre qui sortait d’une révolution mettant fin à une dictature très mesquine, mais aussi parce que ma mère était atteinte d’une maladie mentale, la schizophrénie. Mon enfance était donc assez noire et m’a marquée, à tel point qu’aujourd’hui encore, j’étoffe mon répertoire de films à ce sujet.
Est-ce que c’est donc ton enfance qui a inspiré ton style de dessin relativement sombre ?
Ça a commencé lorsque j’ai eu l'opportunité de réaliser mon premier film d’animation. Je me suis rendu compte que je ne savais pas écrire de scénario, je n’avais pas le bagage adapté. C’est mon conjoint et actuel manager, qui a été essentiel à ma carrière, qui m’a conseillé de produire des images engagées, qui auraient du sens pour moi et donc aussi pour les spectateurs. J’ai alors commencé par explorer quelque chose de simple, des visuels d’ombres et de lumière, puisque j’en avais peur étant enfant, et je me suis rendu compte que je m’identifiais beaucoup à cet univers. J’ai continué ma carrière en développant cette alliance entre les mémoires de mon enfance et mon goût pour le clair-obscur.
Je rêvais que les gens se rendent compte qu’ils avaient besoin d’elle et que ce n'était pas elle qui avait besoin d’eux
Est-ce que ton art t’as permis de t’émanciper du rejet et de la critique ?
Je n’ai jamais étudié l’animation, mais j’ai étudié aux Beaux-Arts, là où l’on nous apprend à développer notre “langage personnel”. Quand je suis arrivée dans le monde de l’animation, je n’avais pas les codes qui étaient homogénéisés chez tous les artistes, mais j’avais mon propre style, que j’ai transmis dans mes films. J’ai donné tout ce que j’avais en étant complètement honnête, ce qui fait que je n'avais pas peur des critiques, parce que personne ne pouvait juger ma sincérité.
Que représente ton film Histoire tragique avec fin heureuse, le court-métrage d’animation portugais le plus récompensé au monde ?
Curieusement, j'ai commencé à développer ce film en école d’art et c’est plus tard que je l’ai adapté en film d’animation. Quand j’ai commencé ce film, j’avais une phrase qui tournait en boucle dans ma tête : “Il était une fois une petite fille dont le cœur battait plus vite que celui des autres personnes.” J’ai aimé cette phrase et j’ai développé une série d’images qui a mené à d’autres phrases et à la fin j’ai eu une histoire. La fin est une métaphore pour représenter le manque que l’on ressent lorsqu’une personne s’en va. J’ai été inspirée par mon enfance passée dans un petit village avec une maman schizophrène dont les gens se moquaient. Comme j’étais sa fille, j’étais aussi une cible de ces critiques et j’ai voulu m’exprimer sur l’expérience de vivre dans une communauté où l’on est différent et pas vraiment accepté. J’ai d’ailleurs dédié ce film à ma maman. Je rêvais que les gens se rendent compte qu’ils avaient besoin d’elle et que ce n'était pas elle qui avait besoin d’eux.
Que représente l’affiche du festival de cette année ?
L’affiche représente mon pays, le Portugal, et célèbre les 50 ans de la fin de la dictature et du début de la démocratie. J’avais envie de marquer cela. J’ai donc composé avec ces éléments en tête et ce qui est amusant, c’est que les gens d’Annecy voient le lac et ses nageurs, les montagnes, alors que les portugais voient probablement l’océan et ses vagues. Je suis très heureuse d’avoir réussi à combiner ces deux cultures en ayant su représenter ces deux endroits qui me sont chers.
D’où te vient ton style de dessin si particulier ?
J’ai développé mon style personnel dès mon premier film et je travaille maintenant en gravure animée. J’ai découvert que j’aimais cette texture organique, à la fois comme une toile aux mailles très serrées, d’autres fois comme des cicatrices ou des parcours. J’ai transposé cela pour l'affiche. Curieusement, l’affiche ressemble à une peinture, mais j’ai tout réalisé numériquement. Au début, j'ai eu du mal à apprivoiser cet outil, mais j’ai fini par me dire qu’il fallait apprendre à le maîtriser, pour qu’il travaille pour moi et pas l’inverse.
Est-ce qu’à travers ton art, tu essayes de lever le tabou sur les maladies mentales ?
Oui, aussi, et mon prochain projet abordera cette thématique de manière encore plus intime. Quand ma maman était âgée, elle ne pouvait plus marcher et sa vie devenait difficile, mais j’ai découvert qu’elle pouvait dessiner. J’ai alors imaginé toute une série de dessins de visages avec elle avec lesquels j’aimerais réaliser un film, en approchant la maladie de mon point de vue, étant donné que je ne pourrai jamais entrer dans sa tête. Je veux exprimer ce que c’est de vivre avec quelqu’un atteint d’une maladie mentale.
Quel message souhaites-tu faire passer aux spectateurs de tes films ?
J’aimerais partager le côté humain et l’honnêteté artistique. Ma manière d'être honnête, c’est de me donner entièrement dans mes réalisations et j’espère aussi ressentir cette sincérité de la part des autres artistes à chaque fois que je vais assister à une projection.
propos recueillis par Lilou Wattier