C’est un album âpre sur la rumeur et sur la douleur qu’elle peut causer lorsqu’un village entier s’en prend à une innocente dont la vie tournait jusqu’alors autour de sa passion pour le foot et les canards.
Tout le récit tourne autour de Merel et pourtant elle n’a rien demandé. Elle, ce qu’elle aime c’est les canards. Au point de participer à des foires aux aviculteurs pour y montrer ses plus beaux spécimens. Et puis aussi le foot et son ambiance bon enfant, une passion qu’elle partage depuis sa plus tendre enfance avec ses copains du village. Tous ont la quarantaine maintenant et des vies bien ou mal construites, qu’ils traînent un peu péniblement dans leur Belgique natale.
C’est une histoire flamande rurale avec de la crotte sous les souliers. La ruralité dans toute sa splendeur avec ses forêts touffues et ses rivières qui chantonnent, ses paysages désolés, ses canards qui se dandinent dans les cours. Au milieu de ce calme apparent, ce n’est pas le chant du coq qui va venir réveiller le village de sa paresse, c’est la rumeur.
Car l’histoire, partie pour être tranquille dans cette calme campagne, dérape dangereusement un soir ou Merel fait une blague innocente à propos du mari de l’une des villageoises. Celle-ci, déjà excédée par son mari dès les premières pages de l’histoire, va déclencher un épisode de harcèlement qui va être la trame de tout l’album et contaminer l’ensemble du village, jusqu’au plus jeunes enfants pris au piège de ce terrible jeu auquel tout le monde participe.
Parmi les enfants, le personnage de Finn est bouleversant, lui-même pris au piège de la rumeur lancée par sa mère il est aussi captif de la relation toxique que ses parents entretiennent. Contrairement aux autres villageois qui ne se posent aucune question, Finn ne cesse de se demander pourquoi tout le monde en a après Merel. Il est tout du long le fil d’espoir auquel on se raccroche, espérant de tout cœur un sursaut de lucidité de la part des protagonistes embringués malgré eux dans cette vendetta sans queue ni tête.
Pauvre Merel, ancienne reine du baby-foot au PMU, ex-amie de tous qui dégringole violemment dans les sondages de popularité ! On souffre avec elle, on retient notre souffle tout du long, pressés d’arriver à un dénouement qu’on espère positif. Pour elle, mais aussi pour toute la communauté, on croise les doigts jusqu’au bout que chacun retrouvera la force de se montrer sous un jour meilleur et, qu’au village, la bonne ambiance revienne.
J’ai été épatée par la maturité graphique de Clara Lodewick qui débute sa carrière en BD avec cet album qui m’évoque les univers de trois autrices de grand talent que j’aime beaucoup. On y retrouve les ambiances naturalistes des albums de Camille Jourdy et Posy Simmons, tel un hymne à la beauté parfois dure des paysages de campagne dans les saisons tristes. J’y ai vu aussi des ressemblances avec les histoires joliment tortueuses et toujours étonnantes de Rutu Modan. Volontaires ou non, ces ressemblances ont été formidablement moulinées par l’autrice qui publie un album dans lequel tout sonne juste.
Ce n’est pas un album facile ni même joyeux. Mais à coup sûr c’est un livre très réussi qui marquera les esprits de ceux qui ont osé venir passer un moment dans ce village flamand à la rencontre de Merel !