L’ancien basketteur se dédiait à une carrière sportive de haut niveau lorsqu’un grave accident a bouleversé le cours de son destin. Sa rencontre avec le slam a fait renaître Fabien Marsaud, dit Grand Corps Malade. Un film « Patients », un 6e album « Plan B »… L’amoureux des mots embrasse sa deuxième vie avec passion.
Vos textes sont très travaillés. Avez-vous une technique d’écriture ?
Je me mets à écrire seulement quand j’en ai envie. Puis je cherche le bon mot, je pèse chaque phrase, le fond et la forme doivent être cohérents. Quand je raconte une histoire, il faut tout de suite que le rythme soit créé par le nombre de mots. Je place une grande exigence dans mes textes, je ne laisse rien au hasard et j’évite toute rime facile.
Le morceau Acouphènes plonge dans vos souvenirs. Nostalgique ?
Complètement, mais cette nostalgie ne me plombe pas. Dans le dernier couplet, je dis que les acouphènes forment un rythme, une mélodie qui font danser mon présent. La nostalgie me fait avancer. J’ai plein de beaux souvenirs, j’ai vécu de grandes choses qui font ce que je suis devenu aujourd’hui.
Votre clip « Au feu rouge » fait apparaître les visages, noms et métiers de migrants. Pourquoi ?
L’objet du morceau visait à ne pas parler d’un migrant de plus. L’idée était de lui donner un nom, une nationalité, un parcours, d’évoquer une vie et une vie dure. D’expliquer que cette personne n’a pas envie d’être là, à un feu rouge. Le clip devait être dans la continuité, c’est pourquoi nous avons montré leur identité. Je voulais rappeler que derrière le terme « migrants », il y a des êtres humains.
Patrick Balkany a-t-il réagi à votre titre « Patrick » ?
Oui, il a répondu « peu m’importe ce que dit ce monsieur Grand Corps Malade, ça fait trente ans que les Levalloisiens m’élisent, ils connaissent très bien leur maire ». Derrière ma description de Patrick Balkany, personnalité haute en couleurs et grande gueule, la chanson n’est pas si drôle. Je m’interroge sur cette justice à deux vitesses, sur le fait qu’un homme comme lui soit non seulement en liberté – alors que d’autres tombent pour des broutilles – mais qu’il soit de surcroît élu de la République. C’est assez hallucinant.
Votre film « Patients » était nommé aux César. Pas trop déçu du palmarès ?
À la base, c’est un petit film, sans acteurs connus, sur un thème pas facile à évoquer et pourtant, il a récolté énormément de succès et réalisé beaucoup d’entrées. Donc, quoi qu’il arrivait, le pari était gagné. Avec en plus une sortie couronnée par quatre nominations - dont une dans la catégorie du meilleur film - c’était encore plus fou ! Bien sûr, on a été un peu déçu. Mais au cours de la cérémonie, la déception a laissé place à la fête. On portait le smoking avec nos jeunes comédiens, on a bien rigolé et passé une belle soirée.
Vous préparez un deuxième film ?
Oui, nous en sommes au stade du casting. Le film se déroulera dans un collège de la banlieue parisienne. En suivant les élèves, on se posera quelques questions sur le système des REP, les réseaux d’éducation prioritaires. On s’amusera aussi car j’ai du mal à imaginer un film 100% sérieux. Quand le thème est grave, c’est important d’apporter une dose d’humour.
Vous êtes en tournée actuellement. Que vous procure la scène ?
C’est l’aboutissement de tout le projet. D’abord j’écris les textes, je les mets en musique, je vais en studio et enfin, je les interprète en live, devant un auditoire. C’est sur scène que j’ai l‘impression de vraiment faire mon métier. Cette adrénaline me manquait.
Qu’est-ce qui peut vous rendre pessimiste ?
Comme je le disais, je me désole de la justice à deux vitesses. Je n’ai pas l’impression que ce phénomène soit en train de changer alors oui, je ne suis pas très optimiste sur le fait que les grands voyous en cols blancs soient un jour jugés de la même manière que les autres. Je regrette aussi la montée des nationalismes dans notre pays et ailleurs. Je suis de nature optimiste mais je ne me cache pas dans ma bulle, je suis très en prise avec la réalité.
Votre plan B, il est plutôt réussi…
Évidemment ! Ce plan B était assez inespéré. Je ne m’étais jamais imaginé artiste. J’ai rencontré le slam un peu par hasard. Au début, je l’ai pratiqué par plaisir. Et puis je me suis dit : est-ce que ça ne pourrait pas devenir un projet professionnel ? Et ça a rapidement marché : des albums, des tournées, un livre, un film… Oui, mon plan B est exceptionnel. C’est un privilège de vivre et de bien vivre d’une activité commencée juste pour le plaisir. J’ai trouvé le slam, croisé les bonnes personnes, mais la chance, je suis aussi allé la chercher.
Propos recueillis par Nathalie Truche