Le MEG inaugurera sa nouvelle exposition Être(s) ensemble le 5 mai prochain. À quelques semaines de son lancement, nous avons rencontré Federica Tamarozzi, conservatrice en chef du département Europe et commissaire de cette exposition.
Quelle est l’origine de cette nouvelle exposition ?
C’est une exposition particulière car elle vise à montrer l’invisible et est également liée à ce qui fait la spécificité même de la discipline ethnographique. Être(s) ensemble vient placer en son cœur les notions de communication et d’échange. Nous sommes habitués à penser la communication entre humains comme un moyen de se comprendre les uns et les autres, cela nous semble évident, même si en réalité il n’y a vraiment rien d’évident. A fortiori lorsqu’on parle d’échanges entre les humains et les autres êtres vivants, de nombreuses interrogations surgissent. Ici il est question des relations entre humains, animaux et plantes, une configuration qui exacerbe et donc rend plus visible notre impuissance à traduire précisément l’expérience de l’Autre. Ce qui est fou c’est que cette entreprise est fondamentalement vouée à l’échec ; l’humain n’est qu’un traducteur qui ne possède pas toutes les clefs nécessaires à l’accomplissement de son travail. On pourrait donc se dire qu’il vaudrait mieux y renoncer, mais Etre(s) ensemble vient montrer tout le contraire. À travers l’engagement de six hommes et femmes, nous découvrons qu’il est possible de changer notre rapport au vivant et de trouver de meilleures manières de vivre ensemble. L’exposition est consacrée à ces Orphée des temps modernes.
Vous parlez d’Orphée, la mythologie tient une place de choix dans l’exposition ?
Effectivement. Il nous semblait important de rappeler que le biologique et le culturel sont intimement liés. La question de la communication avec la nature est très présente dans notre imaginaire collectif. La première partie de l’exposition explore ces récits qui nous parlent d’un temps heureux ou la communication était possible, puis nous abordons ceux qui racontent la souffrance engendrée par la perte de la compréhension mutuelle et, ensuite, trois histoires qui nous font entrevoir une lueur d’espoir. Nous avons sélectionné trois figures exceptionnelles, Orphée, Salomon et Saint François d’Assise qui incarnent trois différentes manières de renouer le dialogue avec la nature. On les considère comme des « ancêtres mythiques » des ces hommes et femmes dont nous allons découvrir le parcours dans la partie la plus ethnographique de l’exposition.
exposition qui tente de montrer le rêve qui se cache au cœur de notre quotidien
Six exemples, tous situés en Europe, entre la Suisse et l’Italie. Pour quelles raisons avoir décidé de vous concentrer sur cette zone géographique ?
D’une part nous voulions montrer que la société occidentale est elle aussi traversée par des interrogations éthiques et que son mode de fonctionnement ne se réduit pas à l’exploitation et à la marchandisation du vivant. Par ailleurs, il nous semblait intéressant de confronter notre public à des animaux et des plantes qui font partie de son environnement proche mais que nous ne côtoyons pas vraiment. Les vaches valaisannes, les renards, les punaises des arbres, sont autant d’espèces familières que des partenaires de vie surprenants.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces six Orphée des temps modernes ?
Nous avons choisi des relations qui sont toutes très différentes. Tout d’abord, celle d’un zoologiste et bio-logiste passionné de photographie qui a établi une relation privilégiée avec les renards dans les Alpes. Puis à Zürich c’est une apicultrice qui nous parle de sa relation aux abeilles, alors qu’en Suisse encore nous partons à la rencontre d’une éleveuse de vaches de combat valaisanne, d’une dessinatrice entomologique et des punaises aux quelles elle consacre sa vie et ses engagements, puis du Sautier et de l’arbre officiel de la Ville de Genève. Enfin, il est question de la relation entre un truffier, son chien et la truffe blanche au Piémont. Dans toutes ces relations la communication s’installe sur des canaux très variés. Chacune d’entre elles nous pose des questions différentes et contourne à sa manière les limites d’un échange inégal. Par exemple, dans le cas du renard, à quel point peut-on nous approcher d’un animal sauvage, et que faire si c’est lui qui par curiosité vient à notre rencontre ? Ou encore pour les vaches, que cela signifie-t-il de les faire combattre dans des compétitions structurées à l’image de celles des humains ? Nos six Orphée n’apportent pas une réponse définitive, mais partagent avec nous leur envie de faire au mieux.
Être(s) ensemble vient placer en son cœur les notions de communication et d’échange
Concrètement, qu’est-ce que le public observera au musée ?
On pourrait dire que c’est une exposition qui tente de montrer le rêve qui se cache au cœur de notre quotidien. Dans les salles le public pourra découvrir une partie du bestiaire du MEG, et constater que les représentations que les cultures traditionnelles font des animaux et des plantes se basent sur l’observation attentive et précise de la nature. Nous avons pu retrouver pour chacun de nos objets l’espèce biologique à laquelle il fait référence. Notre imaginaire collectif se nourrit des œuvres savantes comme de notre culture populaire. Nous avons donc convoqué des compositions littéraires connues, comme des traditions orales oubliées, des œuvres d’art et des installations qui - s’appuyant sur les recherches scientifiques les plus pointues - nous dévoilent la poésie du monde. Notre équipe de médiation a, ainsi, conçu un espace qui nous permet d’expérimenter le monde en chaussant les yeux d’autres animaux. La fin de l’exposition est conçue comme une ouverture vers le futur et nos aspirations : elle invite le public à observer les échanges entre deux arbres dont on a reconstitué les réseaux racinaires. L’idée est celle de montrer que nous sommes entourés d’êtres vivants qui méritent d’être considérés dans leur complexité et leur entièreté. Essayer de les comprendre, est déjà en soi un engagement pour un monde meilleur.