Après 14 années passées au Musée d’Ethnographie de Genève, son directeur depuis 2008 Boris Wastiau prépare son futur départ pour l’Alimentarium en mars prochain. Dans cet entretien, cet amoureux de culture, de voyages, et de l’humain, revient sur sa passion pour l’anthropologie, mais aussi sur les moments les plus marquants de sa carrière au MEG, et les changements qu’il a apporté à l’institution.
Vous êtes passionné d’anthropologie,
qu’est-ce qui vous a attiré vers cet univers ?
J’ai une véritable passion pour les voyages, et ce depuis que je suis jeune. Quand j’étais enfant je voyageais à travers mes lectures, des romans, mais aussi des livres d’Histoire, des Atlas. J’étais fasciné par tous ces endroits que je ne connaissais pas. Quand j’ai eu 15 ans mon père est parti travailler en Afrique, et j’allais lui rendre régulièrement visite, ce qui a développé mon appétit pour les voyages, mais aussi fait naitre ma passion pour l’autre, pour l’humain. Et puis vers l’âge de mes 16 ans j’ai découvert la collection de livres Terre Humaine, et c’est ainsi que j’ai appris qu’il était possible d’étudier des cultures non-européennes dans le cadre universitaire. À ce moment là j’étais certain de ce que je voulais faire dans les années qui allaient suivre. Je suis donc parti étudier à l’Université de Bruxelles, et depuis mon intérêt pour l’anthropologie n’a jamais divergé.
Au cours de votre direction vous avez mené à bien de grands projets, notamment la construction du nouveau bâtiment du musée. Comment s’est déroulée cette expérience pour vous ?
Je crois que ce projet est une des étapes qui m’a le plus marqué dans ma direction du musée. Je suis arrivé comme curateur au MEG en 2007, et j’ai postulé au poste de directeur qui s’est libéré seulement quelques mois plus tard. En 2008 j’étais nommé, et en février 2009 nous avons proposé un plan directeur. Le bâtiment original du musée ne permettait pas de réaliser de grandes choses, il était de trop petite taille. La Ville était derrière nous pour ce projet, mais un référendum a été lancé par une personne qui s’opposait à la coupe des arbres du parc à l’emplacement du nouveau bâtiment. C’était une période très stressante, mais par chance la population nous a soutenu en grande partie, et le projet a pu débuter. Nous sommes donc partis en exil pendant 2 ans, et à notre retour c’était tout simplement exceptionnel. Nous avons vécu un mois de festivités, tout le monde adorait le lieu. Je suis très fier que ce projet ait pu être mené à bien sous ma direction. Aujourd’hui le MEG est devenu un symbole de la ville, un lieu de rassemblement, de médiations culturelles en tous genres. Je pense que cela restera l’un de mes plus beaux souvenirs au musée.
Depuis la mise en place du nouveau plan stratégique du musée en 2019 vous avez présenté votre volonté de déconstruire les perspectives coloniales du musée.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?
Je crois que pour un musée il est capital de s’adapter au monde qui l’entoure. Le musée reste un lieu de conservation et d’étude d’un riche patrimoine, mais nous voulions rester pertinents, et pour cela il fallait montrer l’histoire de ces acquisitions. Les musées ont souvent été vus comme des institutions perpétuelles détachées de la société, simplement là pour présenter des objets. Mais je pense que pour qu’un musée reste pertinent, qu’il continue de s’adresser à ses contemporains, il doit évoluer et avoir un regard critique sur lui-même. Durant ma direction j’ai eu la chance de travailler à ces changements, et de mettre en place une exposition temporaire qui se veut inscrite dans les questions d’actualités. Le musée est un lieu de conservation, mais qui doit être capable de se réinventer pour perdurer. Et je crois que nous réussissons ce défi.
Concernant la pertinence des expositions, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur « Injustices environnementales / alternatives autochtones » ?
Cette exposition est la première qui s’inscrit dans notre plan stratégique, qui a été retardé par la crise sanitaire. Mais elle représente la direction que le musée souhaite prendre. Tout d’abord la thématique est d’actualité, et permet à l’institution de s’adresser à un public plus jeune qui a tendance à déserter les musées. Mais au-delà du thème, c’est aussi dans sa conception que cette exposition s’inscrit dans notre volonté de décolonialisation. En effet, chaque objet est présenté dans le respect de la volonté des porteurs des cultures. De plus, il faut savoir que le musée souhaite réduire au maximum son impact sur l’environnement, et cette exposition a été réalisée avec de nombreuses contraintes à ce niveau. Ainsi, il a été question de récupération, de recyclage. L’institution doit évoluer avec son temps, et ce à tous les niveaux.
Une page se tourne pour vous, vous allez en effet rejoindre l’Alimentarium à Vevey dès mars 2022. Quel restera votre plus beau souvenir au MEG après avoir travaillé durant 14 ans
pour l’institution ?
Un des plus beaux moments restera le jour où nous avons appris que nous avions gagné le référendum et que le nouveau bâtiment pourrait voir le jour. Cette période a été une véritable aventure pour moi, et de voir l’enthousiasme de tous à son ouverture restera l’un de mes plus beaux souvenirs. Je tiens aussi à dire que je suis très fier de mes équipes. C’est grâce à eux qu’aujourd’hui le MEG reste l’un des musées les plus visités de Suisse, mais a également gagné une reconnaissance internationale. Je suis très fier de ce que nous avons pu faire tous ensemble.
Propos recueillis par Aurore De Granier