Craig Thompson est un auteur plutôt rare, mais constant, qui n'hésite pas à se lancer des défis monumentaux sous la forme de bandes dessinées à la pagination colossale. Son nouvel opus, Ginseng roots ne fait pas exception à la règle et il ne faut surtout pas avoir peur de l'affronter !
Depuis 2002, ce sont 2644 pages qui ont été traduites en français. Pour celui dont la moyenne est donc de 377 pages par BD, ce sont principalement des ouvrages intimistes qui nous sont proposés: Des histoires de famille chaotiques, dans lesquelles l'amour, la religion, les voyages sont souvent des points de départ propres à disséquer de multiples sujets.
De ce fait, les albums de Craig Thompson ne sont pas destinés à ceux qui rechignent à la lecture, ils conviennent à celles et ceux qui entrent dans un bouquin comme sous une couette chaude qu'on ne veut plus quitter le froid venu. Ils sont pour les contemplatifs qui aiment se perdre dans la méticulosité du dessin, pour les émotifs qui seront dans une totale empathie avec les personnages, pour les curieux qui aiment tout savoir sur tout et surtout sur ce qui ne les intéresse pas.
Avec ce nouvel album, c'est sur le ginseng qu'on sera incollables à la sortie de cette lecture. Un sujet dont on peut douter qu'il nous captive de prime abord, qui plus est avec une telle pagination. Pourtant comme dans chaque album, la magie opère car l'auteur nous emmène bien plus loin que dans les champs de son Wisconsin natal. Si le cœur de l'histoire est bel et bien son enfance passée à cueillir péniblement le ginseng avec sa famille, le récit prend la forme d'une ample enquête qui dresse un portrait sans concession de l'Amérique. Au delà du récit intime, Craig Thompson revient sur les guerres menées par son pays, sur l'immigration, sur le sort des populations Hmongs en particulier. Le tout est fouillé sans être fouillis et jamais on ne se perd dans les circonvolutions de l'histoire. Sa recette pour nous prendre en otage repose sur un mélange justement dosé de biographie et de documentaire.
Dans ce cas-ci cela prend la forme d'un voyage en Asie dont le récit s'épanouit à la manière d'une enquête journalistique qui se mêle habilement aux réflexions personnelles de l'auteur. Dans la ligne de mire, ses blessures d'enfance encore vives, largement exprimées dans son œuvre majeure Blankets, mais aussi l'évocation touchante de la maladie qui lui paralyse de plus en plus les mains. C'est également un merveilleux témoignage d'amour envers la BD, une belle évocation de l'impact que les comics ont eu dans la vie de ce petit garçon élevé dans une famille peu aimante et pauvre.
Ginseng roots, à l'instar des autres albums de l'auteur est d'une sincérité déchirante, d'une intelligence rare et d'une précision journalistique louable. L'album n'est en rien une suite ou un prequel de Blankets même si de nombreuses allusions y sont faites. Il se savoure seul ou accompagné des autres ouvrages de l'auteur, sans aucun ordre précis. Après tout, c'est quoi 2644 pages quand on a tout l'automne et l'hiver devant soi ?
Gaëlle Coustier