Gaetan « Azaazelus » Sahsah, illustrateur français, explore un monde vibrant où la réalité se mêle au fantastique, canalisant la discordance de notre société dysfonctionnelle et ses paradoxes.
Avec une palette riche en teintes éclatantes, son travail offre un commentaire percutant sur les subtilités de l'existence. Influencé par les styles visionnaires de Will Sweeney, Katsuhiro Otomo, Kyle Platts, Charles Burns, Daniel Clowes et Paul Verhoeven, Azaazelus montre une capacité unique à naviguer entre art et réflexion sociale. À travers ses œuvres, il s'efforce de susciter la contemplation, invitant le spectateur à explorer les complexités de nos existences. Rencontre.
Peux-tu nous parler de ton parcours artistique ? Qu'est-ce qui t'a poussé à devenir illustrateur ?
Après le lycée, j’ai entamé des études aux Beaux-Arts, mais je me suis vite rendu compte que celà ne me correspondait pas vraiment. J’avais une orientation plus vers les « arts appliqués ». J’ai donc abandonné la formation en cours de route et me suis réorienté vers la boulangerie-pâtisserie, un métier que j’ai pratiqué pendant presque 10 ans. Cette expérience m’a beaucoup appris, notamment en termes de discipline et d’organisation du travail. En parallèle, j’ai toujours continué à dessiner, ce qui a fini par m’amener à l’illustration…
Ton travail est souvent décrit comme un mélange entre réalité et fantastique. Quelles influences t'ont amené à explorer ce monde hybride ?
Je crois que c’est un goût naturel pour ce genre d'univers. Depuis toujours, je suis attiré par les œuvres fantastiques où le monde dépeint est aussi complexe et impitoyable que notre réalité. J’aime aussi l’absurde ; il suffit de regarder notre monde pour voir à quel point il est absurde…
Tu mentionnes des artistes comme Will Sweeney et Katsuhiro Otomo comme influences. En quoi leurs styles ont-ils façonné ton approche de l'illustration ?
Otomo a marqué ma génération, et même celles d’avant. On pense immédiatement à Akira, mais ses autres œuvres, comme ses courts-métrages, possèdent aussi un côté dystopique qui m’a toujours fasciné. Sa maîtrise du dessin est phénoménale : ses lignes sont d’une précision rare, et l’attention qu’il porte aux détails, notamment pour les machines, m’inspire profondément.
Cela m’a poussé à toujours chercher l'excellence dans mes propres dessins. Will Sweeney, quant à lui, m’a particulièrement marqué avec le clip Parachute Ending de Birdy Nam Nam. Ses créations sont d’une originalité folle et l’univers qu’il développe est incroyablement beau et captivant. D’autre part, j’ai toujours été un grand consommateur d’images et de livres d’illustrateurs, de bandes dessinées et de mangas, ce qui m’a également beaucoup nourri depuis mon plus jeune âge. Le dessin, tout simplement, me motive à dessiner.
La palette de couleurs que tu utilises est très vibrante. Comment les choisis-tu et que représentent-elles pour toi ?
La couleur, pour moi, est surtout une question d’instinct. J’aime utiliser des tons qui évoquent une sorte d’innocence ou de légèreté. Je préfère créer des illustrations qui, à première vue, dégagent une énergie joyeuse et ludique, même si les thèmes sous-jacents sont parfois plus complexes.
Tes illustrations abordent des thèmes complexes et parfois sombres. Quelles émotions ou réflexions espères-tu susciter chez le spectateur ?
Cela varie selon l’illustration, mais en général, je cherche à provoquer une réaction contrastée. Par exemple, je crée souvent des visuels aux couleurs vives et aux formes joyeuses, mais qui mettent en scène des situations qui sont, elles, loin d’être joyeuses. Il y a une sorte de décalage entre la forme et le fond, comme une réflexion sur l’absurdité de notre époque. Nous vivons dans un confort relatif, tandis que le monde autour de nous est en train de se détériorer.
En revanche, parfois j’aime aussi m’échapper dans des atmosphères plus oniriques, en me concentrant sur des détails, des objets ou des scènes dans un cadre plus apaisant, laissant l’imagination du spectateur se déployer. La couverture choisie en est un bon exemple.
Notre société moderne est souvent présentée comme dysfonctionnelle. Comment intègres-tu cette critique sociale dans ton travail ?
Je préfère insérer cette critique de manière subtile, à travers des détails dans mes scènes. Je n’aime pas rendre les choses trop évidentes ou trop didactiques. C’est quelque chose sur lequel je continue de travailler, en cherchant à aborder des thèmes sociétaux de manière plus implicite.
Peux-tu nous parler de ton processus créatif ? Comment naissent tes illustrations, de l'idée initiale à l'œuvre finale ?
Il n’y a pas de processus fixe, chaque projet est unique. Mais en général, je commence par noter toutes mes idées, même les plus petites. C’est une sorte de remède contre la page blanche. Ces idées mûrissent ensuite, souvent de manière spontanée, en fonction de l’inspiration du moment.
Quelles techniques ou outils privilégies-tu pour réaliser tes illustrations ?
J’utilise principalement Procreate sur iPad, car c’est l’outil numérique qui se rapproche le plus du dessin traditionnel. Pour les détails fins, je me sers aussi de Photoshop et Illustrator. J’aime alterner entre ces logiciels, cela me permet de garder un certain dynamisme dans ma journée de travail.
Y a-t-il un projet en particulier dont tu es particulièrement fier ? Pourquoi celui-ci ?
Je suis fier de nombreuses illustrations que j’ai réalisées, mais je dirais que la couverture que vous voyez ici est l'une de mes préférées. J’apprécie particulièrement son résultat final. J’ai aussi réalisé une série de posters pour le site Drool, un site d’affiches, que j'aime beaucoup. Ce qui me plaît dans ces projets, c’est la liberté créative qu’ils m’offrent. Travailler avec des indépendants me permet d’explorer de nouvelles pistes et de pousser mes idées encore plus loin.
Enfin, quels sont tes projets futurs ? As-tu des collaborations ou des expositions à venir ?
Je souhaite développer davantage de projets personnels, notamment sous forme d'affiches, et explorer de nouveaux moyens de diffusion, comme les marchés d'illustrateurs. Le contact humain me manque un peu, c’est quelque chose que j’ai envie de retrouver. Pour l’instant, je me laisse porter par les projets qui se présentent à moi sans trop me prendre la tête. J’ai plusieurs expositions en préparation, mais aucune date précise n’est encore fixée.
Propos recueillis par Carole Cailloux