On croit déjà tout savoir à propos de Vernon Subutex. On a lu les romans, on l’a vu à la télé, il est désormais le héros d’une bande dessinée. On l’adore ou on le déteste, il nous repousse, nous dégoûte ou nous fascine. Et vous, dans quelle équipe serez-vous ?
Il y a un plaisir fou à faire évoluer un texte publié-de façon à ce qu’il trouve la meilleure forme possible dans l’imagination d’un autre
Alors on repart de zéro, on oublie les romans, on oublie (surtout) la série télé. Car, non seulement la BD les surpasse tous mais en plus elle revisite totalement l’œuvre originale. D’ailleurs, Virginie Despentes qui a entièrement revu sa copie, dit elle-même : « Il y a un plaisir fou à faire évoluer un texte publié-de façon à ce qu’il trouve la meilleure forme possible dans l’imagination d’un autre ». Vous ne lirez donc pas tout à fait la même histoire, elle est ici réactualisée et mise à la sauce 2022. Vernon y est encore plus proche de nous, de nos désespoirs et de la société actuelle. Car si Vernon est devenu un clodo de la butte, il n’en est pas moins totalement connecté au monde actuel. Plus que jamais épaulé par ses potes, Vernon tient bon. Il faudrait vraiment trouver les mots justes qui permettraient de convaincre chacun.e de lire Vernon Subutex.
Malgré la quantité de pages, malgré la somme de texte, malgré la dope, malgré la violence, malgré la vulgarité apparente. Car tout ceci est un chaos qui vous sonnera par la force qui s’en dégage, par la puissance de cette œuvre hors norme. Faut-il encore franchir le pas.
Il y a ce texte qui, comme tous les mots de Despentes, vous cabosse avec ses punchlines et sa véracité. Il entre en vous des convictions, en détruit d’autres. Il fait réfléchir, douter, vous bouscule, vous piétine et imprime en vous quelques désagréables vérités.
Quant à Luz, que dire que je n’ai déjà répété cent fois, tant j’ai d’admiration pour cet auteur ? Je le répète une fois de plus : « Lisez Luz ! » À la librairie sur le tome un, j’ai écrit un mot qui y figure depuis 2 ans et qui dit à peu près : « Lire Luz, c’est faire faire un grand-huit à vos pupilles ». Mais pas seulement, car tout le corps est pris dans un tourbillon. Le dessinateur va de trouvailles en astuces de narration, semblant repousser les limites des possibilités de la bande dessinée. C’est donc une vertigineuse succession d’idées jamais vues qui vous retournent le cerveau par leur ingéniosité. Pas une minute de répit et pas une page sur un modèle identique ! Je me dis qu’il a dû suer sang et eau sur ce bouquin. Car on sent l’implication totale d’un (de deux ici) artistes pour leur œuvre. Un livre indubitablement réalisé avec leurs tripes.
Vernon et sa bande ne sont pas prêts de me quitter et ces albums, j’espère qu’ils entreront chez vous par la grande porte. Que vous les chérirez malgré leur densité, leur gravité. Que vous oserez entrer dans cette légende. Lire Vernon Subutex, c’est une expérience intellectuelle et corporelle. On ne s’en remet pas comme ça. Et bon sang que ça fait du bien d’être chahuté à ce point ! De finir un peu sonné, tout remué par ce qu’on vient de vivre. Et expérimenter la tristesse de tous les quitter après tout ce qu’ils ont vécu.
Êtes-vous prêts ?
Gaëlle Poirier