C’est un nom qui vous dit certainement quelque chose. Le réalisateur suédois Ruben Östlund remportait déjà la Palme d’Or en 2017 avec sa satire portant sur le monde de l’art contemporain, The Square. Il est de retour cette année avec un long métrage qui tire à boulets rouges sur les riches et puissants, qu’il emmène dans une croisière aussi luxueuse que cauchemardesque, pour un résultat tout simplement jubilatoire. Vous embarquez ?
De quoi ça parle ?
Tout commence après la fashion week. Carl et Yaya incarnent le couple de mannequins et influenceurs idéal, et sont invités à participer à une croisière de luxe sur un yacht, accompagnés de riches et puissants, en l’échange de quelques photos postées sur les réseaux sociaux.
Adeptes de selfies, acceptant de poser avec n’importe quel produit leur étant offert, et ne restant dans leur relation que pour gagner des followers, ils se retrouvent en compagnie de voyageurs dégoulinants de richesse
Au départ, le calme règne. L’équipage est aux petits soins pour les passagers du bateau, cédant à leurs moindres caprices, des plus ordinaires aux plus déjantés. On ne parvient notamment pas à contenir notre sourire quand l’une des invitées exige que les voiles du bateau, n’étant résolument pas un voilier, soient lavées. Mais peu importe, l’équipage acquiesce, car dire non est interdit. Au fil de l’histoire, alors que nous découvrons des personnages pour la plupart détestables et grotesques sans tomber dans les clichés, la tension monte.
Le capitaine du bateau, campé par un Woody Harrelson décapant et dégoûté par les occupants du bateau, refuse de sortir de sa cabine, alors que le diner de gala devant réunir tous les passagers approche. Mais rapidement la dynamique change. Les jeux de pouvoir et les rapports de force évoluent tandis que le yacht est pris dans une tempête.
Alors que les difficultés s’accumulent et que le danger règne, la richesse de chacun n’ayant tout à coup plus aucune importance face aux épreuves qui s’accumulent, nous assistons à un entredéchirement tristement ancré dans la réalité, mais plus que jamais jubilatoire.
Pourquoi ça fonctionne ?
On pourrait se dire, encore une satire sur les riches, vraiment ? Le sujet semble tenter de plus en plus de réalisateurs, on se souvient notamment de la série HBO White Lotus aux prémices presque similaires, dépeignant la vie des plus aisés, et nous laissant passer de l’autre côté du miroir, là où vivent ceux se plaçant à leur service. Sans filtre, de son titre original Triangle of Sadness faisant référence à la ride apparaissant entre les deux yeux, convainc cependant sans difficulté.
Satiriste d’excellence, comme il l’a prouvé avec The Square, Östlund parvient à dépasser la simple critique gratuite pour atteindre un niveau supérieur. S’il tire à vue sur les happy few de sa croisière de luxe, le réalisateur suédois soulève des questions plus profondes. Sur fond de théories critiques du capitalisme, et de discours marxiste, il vient critiquer tout un système, interrogeant les inégalités face à la richesse.
En grattant un peu la surface bien polie de ses personnages, la beauté, l’argent et sa quête incessante, la valeur réelle des choses et celle qu’on leur attribue sont disséqués et offrent une satire profondément ancrée dans notre réalité.
Pourquoi on aime ?
Soyons honnêtes, Sans filtre, comme son titre l’indique, n’a rien de subtile. Pour vous donner une idée, un critique britannique se demande s’il s’agit du film le plus immonde de l’année, mais ce bien sûr dans le bon sens du terme. Robin Östlund ne fait pas dans la dentelle, et se complait à faire durer des scènes terriblement malaisantes sans jamais relâcher la tension. Dispute de couple entre les deux beaux mannequins, nourriture avariée et dégobillage à gogo, ordres absurdes exécutés par l’équipage à la demande d’invités coupés de la réalité, le réalisateur suédois nous fait grimacer pendant 2h30 de film.
Un long métrage qui porte bien son nom, mais qui jamais ne nous permet de nous ennuyer. Parfois absurde tout en étant indéniablement réaliste, aussi horrifiant que jubilatoire, Sans filtre est un petit bijou de satire dont la Palme d’Or bien méritée donne une grande claque au gratin de notre monde.