Dans un contexte marqué par la pandémie Covid-19, la programmation de Bonlieu Scène nationale a été reportée à novembre. Entre incertitudes sur le présent et espoirs pour demain, le point avec Salvador Garcia, directeur de la salle de spectacles annécienne.
Comment avez-vous géré la crise sanitaire à Bonlieu ?
Nous avons annulé 22 spectacles. La majorité n’a pas pu être reportée car la saison suivante était déjà calée. Nous avons essayé d’être le plus juste possible avec les artistes de manière à ce qu’ils ne perdent pas de revenus. Puis nous nous sommes aussitôt mis à travailler sur le programme de l’été, en particulier Annecy paysages qui se tient actuellement et jusqu’au 27 septembre. La grande balade d’Annecy - qui devait inaugurer Annecy paysages - était impossible à organiser en ville à cause des normes sanitaires. Nous l’avons réalisé au sommet du Semnoz, à 1 700 m d’altitude, avec une centaine d’artistes et un public venu extrêmement nombreux : plus de 20 000 personnes en deux jours. Voilà ce que nous avons fait pendant le confinement : réinventer un projet avec les artistes et la population.
La pandémie vous a fait imaginer de nouveaux liens avec le public…
Nous ne pouvions pas faire autrement. En octobre, nous proposerons des évènements dans le forum de Bonlieu comme des parcours itinérants dans le théâtre au cours desquels le public croisera des artistes. Nous organiserons aussi des spectacles dans les classes car faire venir les enfants ici est devenu très compliqué. Dans ce cadre, nous avons demandé à quatre compagnies locales de préparer des formats courts destinés aux écoliers. Nous donnons de nouveaux rendez-vous au public et les imaginons au fur et à mesure car nous n’avons pas d’autre choix.
Comment se profile la rentrée dans ce contexte particulier ?
Variations classiques - avec lequel nous sommes partenaire - se tiendra dans les rues de la ville et non en salle. Ensuite est programmé le festival du cinéma italien que nous prévoyons de présenter majoritairement en ligne. Nous avons fabriqué une plateforme gratuite sur le web afin que le public puisse voir les films en compétition. Quant à Bonlieu, comme je n’étais pas sûr de pouvoir proposer une rentrée normale, je l’ai repoussée à début novembre et les abonnements ouvriront le 25 septembre. La saison est déjà en ligne mais le premier spectacle se tiendra à la rentrée des vacances de Toussaint, de manière à en savoir davantage sur les conditions dans lesquelles nous pouvons accueillir le public.
En savez-vous plus sur ces conditions d’accueil ?
À l’heure qu’il est, je ne sais rien. J’espère seulement que ces conditions seront quasi normales ou acceptables pour le public. L’actualité évoque une recrudescence de la pandémie et le port du masque est obligatoire dans les espaces publics clos. Je ne vois pas comment s’en passer dans une salle de spectacle. C’est la règle aujourd’hui. Qu’en sera-t-il en novembre ? Je l’ignore.
Le monde d’après ? Les artistes l’inventent !
Comment s’ouvrira la saison en novembre ?
Avec La mouette, une création de Tchekhov mise en scène par Cyril Teste. Je pense que c’est un spectacle très attendu du public. Cyril Teste est devenu une star de Bonlieu en créant le plus grand succès de la décennie avec Festen et son adaptation au théâtre-cinéma qui avait accueilli plus de 8 000 personnes. La mouette est l’évènement de la rentrée que nous pourrons, j’espère, présenter dans de bonnes conditions. Ensuite, toute la saison s’enchaînera.
Avec quelles têtes d’affiche ?
Il y en a plein. Valérie Bruni Tedeschi viendra répéter et travailler à Annecy un spectacle créé ici, qui s’appelle Toi, mis en scène par Pascal Rambert. C’est une lettre d’amour d’une fille à sa mère. Nous recevrons également l’immense acteur de la Comédie française, Denis Podalydès dans un solo intitulé La disparition du paysage. Mais aussi François Morel qui jouera à la fin de la saison.
Un moment d’humour ?
Sans hésitation Alex Lutz, qui vient pour la première fois à Bonlieu avec son… cheval !
Un grand rendez-vous théâtre ?
D’abord La mouette en novembre puis en janvier, La vie de Galilée avec Philippe Torreton. Mais d’autres œuvres moins connues sont toutes aussi intéressantes.
Des performances de danse ?
Nous accueillons de grands chorégraphes tels qu’Ousmane Sy, pour le hip-hop ou Akram Khan. À noter que deux pièces ont été créées à Annecy : d’abord The fluid force of love avec Jan Fabre, star mondiale de la danse et incroyable plasticien ; ensuite Corps extrêmes pour laquelle Rachid Ouramdane a travaillé avec Nathan Paulin, champion du monde de highline, une discipline qui consiste à marcher en hauteur sur une sangle.
Et un concert incontournable ?
Femi Kuti, Imany… C’est difficile de choisir. S’il ne faut en retenir qu’un, ce serait le concert donné en décembre par l’Orchestre des pays de Savoie avec, en soliste, Renaud Capuçon qui ravira les amateurs de musique classique.
On parle beaucoup du « monde d’après ». Qu’en sera-t-il, selon vous, dans le domaine culturel ?
Pour nous, il est déjà incarné par Annecy paysages à travers le rapport à l’équilibre de notre relation à la nature, dont nous faisons partie. Cette relation est primordiale et fonde notre réflexion. La crise du Covid fait remonter en première ligne et de façon aigue, des questions qui semblaient jusqu’alors anodines. La question de ces équilibres devra forcément être traitée. Le monde d’après, les artistes l’inventent. L’avantage d’une scène, comme d’un tableau, est de concevoir ce qui n’est pas réalisable. Les artistes créent les possibles, c’est pour ça que je les aime.
Propos recueillis par Nathalie Truche