Pierre-Yves Lenoir, directeur des Célestins, incarne une vision audacieuse et contemporaine de la scène théâtrale. Après quatre ans en tant que co-directeur aux côtés de Claudia Stavisky, il prend désormais les rênes de cette institution avec l'ambition de réaffirmer son positionnement. Rencontre.
Bonjour Pierre-Yves Lenoir, comment allez-vous, un mois après le début de la saison ?
Je vais bien, merci. Nous sommes vraiment contents de ce début de saison. Nous avons de belles créations à l’affiche et déjà vendu 65 % des places de la saison depuis mi-juillet, ce qui témoigne d’un intérêt croissant du public.
Comment votre rôle et votre vision ont-ils évolué depuis que vous êtes devenu directeur des Célestins ?
Mon rôle a bien sûr évolué. Être seul aux manettes implique une responsabilité accrue et des attentes, notamment de la ville de Lyon, qui consacre un budget conséquent à la culture. Je suis ravi de pouvoir m’appuyer sur une équipe solide, à qui je délègue de plus en plus. Car c’est vrai que la programmation occupe une grande partie de mon esprit, me poussant à penser non seulement à cette saison, mais aussi aux suivantes. En tant que maison de création, nous accompagnons des artistes et des jeunes compagnies, et il est crucial de convaincre nos partenaires de continuer à nous soutenir financièrement. Dans un contexte de contraction des moyens, le temps nécessaire pour monter une production a doublé par rapport à il y a quelques années.
Comment avez-vous élaboré cette programmation et quelles nouvelles orientations artistiques souhaitez-vous insuffler au théâtre des Célestins ?
La programmation est le fruit d’une réflexion constante. Je souhaite que ce théâtre donne la parole à ceux qui savent nommer les enjeux de notre époque. J’essaie aussi de rester en phase avec notre ligne directrice cette saison, «L’inattendu», et offrir à chacun la possibilité de découvrir des œuvres fortes et singulières, qu’ils n’auraient pas imaginé aimer.
La saison 24-25 met l'accent sur l'inattendu. Comment arrivez-vous à équilibrer l'attendu et l'imprévu dans vos choix de spectacles ?
En réalité, j’aimerais éviter de proposer ce qui est trop attendu. Mon objectif est d'ouvrir les perspectives et d’encourager à découvrir l’inattendu, qui est le moteur de cette saison. Chaque choix de spectacle vise à défier les normes et à offrir des expériences nouvelles.
Quels sont les moments forts de cette saison parmi les 44 spectacles et 300 levers de rideaux ?
Je tiens à redire le soutien indéfectible de la Ville de Lyon, qui nous permet de traverser cette période d’inflation sans subir de coupes budgétaires. Grâce à cette aide, nous avons pu maintenir nos moyens de production et offrir une programmation particulièrement riche. Parmi les moments forts, Indestructible, en janvier, nous plongera dans la France des années 60 à travers les récits des travailleurs immigrés et des intellectuels établis dans les usines, un moment historique, symbolisé par la Peugeot 504. La période de fin d’année sera très festive aux Célestins avec La Barbichette, un cabaret queer avec chansons, effeuillage,
acrobatie, danse et poésie. Aussi, Salto : un spectacle audacieux alliant voltige, danse urbaine et jeux d’enfants. En avril, nous accueillons une création particulièrement forte : Makbeth, mis en scène par Louis Arène avec le Munstrum Théâtre, nos artistes associés.
MON OBJECTIF EST D'OUVRIR LES PERSPECTIVES ET D’ENCOURAGER À DÉCOUVRIR L’INATTENDU.
Vous parlez d’« émulation positive » entre les différentes salles de Lyon. Comment cette dynamique enrichit-elle votre vision artistique et vos choix de programmation ?
Je préfère parler d’émulation positive plutôt que de concurrence. Cette richesse de l’offre dans la métropole met la barre très haut et m’incite à penser ma programmation en termes d’excellence artistique. Ce qui me caractérise, c’est ma volonté de proposer au public de vivre des émotions intenses, de revendiquer et d’assumer des choix audacieux. J’aime bousculer les attentes, surprendre et divertir, surtout dans un contexte parfois sombre.
Le thème de « la justice et du couple » sera aussi exploré cette saison. Pourriez-vous nous en dire plus ?
La question de la justice est omniprésente dans notre monde actuel, qu’elle soit sociale, raciale ou climatique. Elle sera au cœur de plusieurs de nos créations. Quant au couple, il s’agit d’un thème intemporel qui traverse les écrits du théâtre depuis des générations. L’amour, ou le désamour, est un sujet fondamental, et le théâtre continue d'explorer ces dynamiques. C’est ce dialogue entre l’individu et la société qui enrichit notre programmation et permet d’aborder des sujets profonds tout en restant connectés à notre époque.
Autre nouveauté : les « Samedis Célestins ». Pouvez- vous nous en parler ?
Chaque mois, nous organisons des ateliers, des dialogues avec des artistes, des conférences, projections et concerts en lien avec notre programmation. L'idée est d’ouvrir les portes du théâtre à des moments variés, et la plupart de ces événements sont gratuits, permettant ainsi de découvrir le lieu sous un autre angle. Le théâtre doit être un espace ouvert sur la vie et sur la ville, d’autant qu’il peut parfois sembler intimidant. Avec ces samedis, nous souhaitons inviter tous les publics, et rendre le théâtre plus accessible et inclusif.
Une invitation à l'inattendu que provoque la rencontre de l'art et de la vie
Quels sont les spectacles à voir en famille ?
Il y aura R.O.B.I.N, en décembre, une création de Maïa Sandoz qui revisite Robin des Bois à travers les crises sociales d'aujourd'hui. Salto et ses défis de haute voltige, Ombres portées, qui, à travers le cirque et la danse, explore les secrets de famille. Qui som? mêlera acrobatie, danse, musique et théâtre. Enfin, Makbeth et Le Rouge et le Noir pour un moment en famille, mais plutôt avec des adolescents !
Vous avez mentionné votre souhait de rendre la culture plus accessible aux jeunes. Quelles initiatives envisagez-vous pour les engager, en tenant compte des différences de moyens par rapport à vos abonnés fidèles ?
Notre programmation est aussi conçue pour être ouverte et familiale, et je suis conscient de l'importance de renouveler notre public. Le défi de la démocratisation culturelle est complexe, et il est essentiel d’inclure des écritures contemporaines et des jeunes compagnies pour attirer un public plus large. Pour cela, nous avons ajusté notre grille tarifaire en baissant les prix en seconde catégorie et en créant un tarif réduit pour les moins de 16 ans, qui est encore inférieur à celui des moins de 28 ans qui bénéficient d’un tarif à 50%. Cela pour inciter ceux qui n'ont pas l'habitude de fréquenter des lieux culturels. Si ces jeunes spectateurs sortent heureux, ils auront envie de revenir !
À l'approche des 250 ans des Célestins, quel est votre souhait pour l'avenir du théâtre ?
J’aimerais qu’il vive encore 250 ans ! (rires) Mon souhait est qu’il ait un bel avenir, à l’image de ce qu’il a connu jusqu’à présent. Pour le théâtre au sens large, il est crucial de prendre conscience de sa fragilité : sans art, la vie manque de beauté et d’humanité. Il est essentiel de continuer à créer des œuvres fortes qui interpellent et émerveillent le public. Le soutien des partenaires publics sera fondamental pour cela. Je suis également fier de dire qu’aucun tarif n’a augmenté depuis 2019. Nous devons poursuivre notre mission d’offrir un théâtre exigeant, engagé et ouvert à tous, afin d’assurer sa vitalité dans les années à venir !
Propos recueillis par Carole Cailloux