Aujourd’hui il devient de plus en plus difficile d’échapper à l’intelligence artificielle. Nous nous sommes déjà tous fait avoir au moins une fois en scrollant sur Instagram, atterrissant sur une image nous mettant le doute, avant de réaliser qu’elle n’était pas extraite de la réalité, mais inventée par un algorithme. Qu’on le veuille ou non, ChatGPT et ses alter egos ont déjà envahi notre quotidien, l’IA se manifestant notamment par le biais de l’image et du texte. Mais c’est un autre domaine créatif qui est en passe de changer grâce aux progrès de l’IA, celui de la musique.
Ces derniers mois les applications et sites web consacrés à cet univers créatif se sont multipliés, avec un succès marqué pour des apps tel que Suno - signifiant écouter en hindi. Le principe est simple, et le même que pour ChatGPT dans la génération d’images et de textes. Ici, pas besoin d’avoir la moindre notion de solfège ni de savoir jouer d’un instrument, on ne vous demande même pas de chanter juste. La seule chose à posséder ? Une idée. Il vous suffira de la soumettre, en anglais à l’algorithme pour obtenir un résultat. Celle-ci peut être aussi vague que « chanson rock sur un road trip », et quelques minutes plus tard Suno vous proposera deux morceaux différents d’un peu plus d’une minute.
Certes, la qualité de la voix sur Suno conserve des traits robotiques, mais d’autres applications plus sophistiquées vont encore plus loin, reprenant les voix de stars belles et bien réelles, actuelles ou disparues. Pour certains, cette nouvelle forme de l’IA est une chance permettant à tous de laisser s’exprimer son caractère créatif à travers la création musicale. Comme pour les images sur ChatGPT, tout à chacun est désormais en mesure d’être à l’origine de son propre projet, sans nécessiter les talents lui étant inhérents. Si pour une partie de la population - y compris un certain Paul McCartney qui qualifie cette forme d’IA comme « intéressante » - il s’agit d’une avancée, la question du danger des dérives se pose.
LA SEULE CHOSE À POSSÉDER ? UNE IDÉE. IL VOUS SUFFIRA DE LA SOUMETTRE, EN ANGLAIS À L’ALGORITHME POUR OBTENIR UN RÉSULTAT.
Si les mélodies générées par l’IA tiennent la route, les paroles parfois un peu trop brinquebalantes pour réussir à convaincre, le danger ne réside pas vraiment - pour le moment - dans la naissance de nouveaux artistes via l’IA. Certes, les progrès plus que rapide de ces technologies ne font en rien douter sur le fait que dans quelques années - même quelques mois - ces intelligences artificielles pourront être en mesure de créer de véritables pop stars, l’humain en chaire et en os se cachant derrière l’écran n’ayant jamais su lire une partition de musique. Le risque immédiat est différent et vient toucher à la question centrale de la propriété intellectuelle. En 2023, les internautes ont pu écouter une reprise du morceau Saiyan par la voix d’Angèle, ou un duo entre The Weeknd et Drake entonnant à l’unisson Heart on my sleeve. Seul problème, ces artistes n’ont jamais posé ces chansonnettes.
« CE QUE VOUS PROTÉGEZ AVEC LE DROIT D'AUTEUR, C'EST L'EXPRESSION D'UNE IDÉE, ET LA VOIX N'EST PAS VRAIMENT CELA »
Ces morceaux sont en réalité le fruit d’une IA apposant leurs voix à des productions n’étant pas les leurs, le tout sans leur demander l’autorisation. Une problématique des plus complexes, car comme l’expliquait Andres Guadamuz, enseignant en droit de propriété intellectuelle à l'université britannique du Sussex, « Ce que vous protégez avec le droit d'auteur, c'est l'expression d'une idée, et la voix n'est pas vraiment cela ». Les choses vont encore plus loin, comme la création par une IA d’un nouvel album pour le groupe Oasis, séparé depuis 2009, reprenant les voix des deux chanteurs et l’identité musicale du groupe depuis sa création.
Une évolution rapide, bernant le public sur les réseaux sociaux, qui inquiète. Si en réaction à sa fausse cover Angèle répondait, "Je sais pas quoi penser de l'intelligence artificielle. J'trouve c'est une dinguerie mais en même temps j'ai peur pour mon métier », Drake allait lui plus loin en qualifiant l’intrusion de l’IA dans l’industrie de la musique comme « démoniaque ». Si des discussions sont en cours pour rémunérer les artistes dont les voix seront utilisées par l’IA, la question de leur protection ne semble pas même en suspens. Un univers de plus qui va devoir faire face à une domination grandissante de l’artificiel sur l’humain.