Cinq ans après leur dernière collaboration sur le film Au bout du conte, Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri reviennent sur nos écrans dans Place Publique. Jaoui remet sa casquette de réalisatrice pour cette comédie, dans laquelle Bacri reprend lui son personnage habituel de loser un peu aigri.
Dans ce film, Jean-Pierre Bacri interprète Castro, animateur de radio sur le déclin, qui fut autrefois une star du petit écran. Lors de la pendaison de crémaillère de sa productrice et amie de longue date, Nathalie, interprétée par Léa Drucker, il retrouve son ex-femme Hélène (Agnès Jaoui). Jeunes, ils partageaient les mêmes idéaux mais le succès a converti Castro au pragmatism et au cynisme, tandis qu’Hélène est restée fidèle à ses convictions. Leur fille, Nina, qui a écrit un livre librement inspiré de la vie de ses parents, est aussi de la fête. Alors que Castro assiste, impuissant, à la chute inexorable de son audimat, Hélène tente désespérément d’imposer dans son émission une réfugiée afghane. Les retrouvailles s’annoncent électriques ! Pour compléter le casting, on retrouve Héléna Noguerra, Grégoire Oestermann, Sam Karmann, Eric Viellard et Olivier Doran. Bien que le film se déroule dans un huis clos, dans la maison de champagne de Nathalie, le film s’intitule Place Publique. Un choix délibéré du duo Jaoui-Bacri :« On voulait parler de cette nouvelle frénésie de vouloir se faire connaître, même au sein de son groupe d’amis, par un like sur Facebook, qui valide le petit-déjeuner que l’on vient de filmer et de poster... Andy Warhol a eu à la fois raison et tort : ce n’est pas un quart d’heure mais une minute de célébrité auquel tout le monde prétend aujourd’hui. Mais autrement, il a tout juste », déclare Jean-Pierre Bacri. « La célébrité et le pouvoir qu’elle donne est un thème qui nous a toujours intéressé, et aujourd’hui la donne est nouvelle. Les réseaux sociaux démocratisent et facilitent l’accès à la célébrité. Ce qui fait que les gens de la télé comme Castro perdent terriblement de leur pouvoir et deviennent presque has-been », ajoute Agnès Jaoui.
Une satire sociale
Au delà d’une critique de la célébrité, le film s’amuse à confronter les différentes classes de notre société. Jaoui reprend ainsi son thème favori. Manu, le chauffeur de Castro, se croit ami avec lui mais dès que ça lui chante, c’est Castro qui a le pouvoir de le remettre à sa place. « On voulait parler des élites qui chantent et qui dansent sans se rendre compte que les classes populaires ne partagent pas cette effervescence et ne se sen tent ni représentées, ni considérées », note la réalisatrice. Ainsi, quand la maire se rend à la fête chez Nathalie, on comprend bien qu’elle a davantage à cœur de satisfaire les demandes de cette riche parisienne qui côtoie des gens célèbres que celles de Delavenne, le paysan du coin.
Le film est construit sur un flash-back qui renforce la menace que représente cette confrontation des classes. « Il me semble souvent qu’on danse sur un volcan, il y a l’idée qu’on rigole, mais que ça peut très mal se terminer. Je comprends profondément que les gens qui se sentent délaissés et en aient ras-le-bol, même si je pense qu’ils se trompent de solution en votant pour les extrêmes. Ils ne vont pas se sauver, au contraire, ça va être pire », estime Agnès Jaoui. On retrouve aussi dans l’écriture de la réalisatrice une thématique nouvelle: celle du temps qui passe. Ainsi au début du film, Castro fait un discours sur la joie de vieillir. La réalisatrice s’amuse ensuite à aller voir derrière ce discours officiel: « j’ai moi- même entendu ces phrases mot pour mot dans la bouche de quelqu’un dans une émission... Je ne crois pas un instant à leur sincérité mais en même temps, je comprends qu’on les prononce car dire à quel point la vieillesse est atroce, ce n’est pas très intéressant, on n’a pas envie d’entendre ça », explique-t-elle.
La caméra en mouvement constant
Côté mise en scène, la réalisatrice a privilégié le mouvement, emboîtant le pas à ses personnages. La caméra passe d’un espace à l’autre, d’un personnage à l’autre, dans un chassé-croisé chorégraphié. Les invités constituent une foule vivante, un groupe qui existe. Pour cela, la réalisatrice s’est inspirée de 3 films : Un mariage de Robert Altman, Partition inachevée pour piano mécanique de Nikita Mikhalkov et La Règle du jeu de Jean Renoir. Le chef-opérateur Yves Angelo a également choisi de privilégier les longues focales, afin de donner une grande profondeur de champ, comme chez Renoir. Cette profondeur permet notamment de jouer sur l’arrière-plan et de mettre en scène la fête du point de vue d’un personnage ou deux qui observent, discutent, complotent... De plus, le scénario est écrit de manière à faire exister la fête et en même temps l’intime de chacun, les enjeux singuliers et le jeu des masques sociaux. Comme souvent dans l’univers de Jaoui, on ris beaucoup, mais derrière sespersonnages on retrouve toujours une certaine mélancolie. « Tout le monde est censé s’amuser à une fête, mais on sait que derrière ces façades se jouent des drames personnels plus ou moins importants, plus ou moins graves », conclut-t-elle. Le film sort en salles le 18 avril prochain.
Romain Fournier