Grand nom du théâtre français, Pascal Rambert a écrit Architecture, une fresque se déroulant au XXème siècle, dans une Europe traumatisée par les guerres et le nationalisme. Une distribution prestigieuse* incarne une famille d’intellectuels viennois qui n’échappera pas au fracas de l’histoire.
Comment est née cette pièce ?
L’idée, qui remonte à une quinzaine d’années, est venue de mes voyages dans les Balkans. Je connais assez bien les lieux et l’époque, l’entre-deux-guerres, à travers sa littérature, son design, son architecture, sa société. C’est un monde que j’aime, que je savais cultivé, raffiné, et qui se trouve confronté à la pire des barbaries. Je voulais réaliser la pièce avec mes copains, ce qui a pris du temps pour tous les réunir.
Pourquoi avoir situé l’histoire dans une famille ?
En fait, la famille, ce n’est pas mon truc. Je trouve que c’est enfermant. J’aime profondément ma famille et pourtant, j’ai tout fait pour partir, pour travailler à Paris, aux États-Unis, en Asie puis dans le monde entier. Je ne suis pas quelqu’un qui reste à la maison pour Noël. Mais en tant qu’écrivain, j’adore observer les familles dans les parcs, les avions, les restaurants… Je regarde cet endroit plein d’amour où l’on se replie, où l’on se sent bien au chaud. Quand on écrit du théâtre, un art qui se nourrit des oppositions, des conflits, la famille est un endroit formidable d’observation pour refléter la société elle-même. Dans Architecture, je trouve beau de montrer la lâcheté profondément étouffante, névrotique, de ces gens qui vivent ensemble sans - pour certains - l’avoir choisi. Très liés par un amour, ces êtres intelligents se savent en sursis, se posent une question concrète : « va-t-on échapper à ce qui est en train de nous foncer dessus ? ». Architecture raconte le rapport de conscience profonde devant la catastrophe.
Pourquoi l’avoir intitulée Architecture ?
Je ne peux pas commencer un projet sans avoir le titre, tout est contenu à l’intérieur, c’est l’ADN de l’œuvre. Les architectes savent très bien que leurs objets sont obsolètes, que même s’ils durent très longtemps, ils finiront par tomber en poussière. Donc, Architecture contient à la fois ce qui fait tenir les choses debout et sa limite dans le temps : à un moment donné, tout s’effondrera. J’ai toujours eu le titre et la première phrase aussi, c’est la clé de sol. Je ne sais pas ce qui se passera ensuite car je ne fais pas de plan, je le découvre à l’écriture. Je connais l’échelle temporelle - entre la première et la seconde guerre mondiale - mais pas ce qui se passera entre les personnages, ce qu’ils vont dire. Je me laisse surprendre. Je veux offrir aux spectateurs la possibilité de suivre une histoire qu’ils ignorent comme je l’ai ignorée moi-même en l’écrivant.
« Je veux offrir aux spectateurs la possibilité de suivre une histoire qu’ils ignorent comme je l’ai ignorée moi-même en l’écrivant »
Quel genre de metteur en scène êtes-vous ?
Je n’aime pas crier, je déteste les gens violents, ceux qui se prennent la tête pour rien. Pour moi, c’est important que l’équipe avec qui je travaille soit heureuse. Je ne veux pas ajouter de clash à la difficulté, au rapport ingrat, à cette chose folle qu’il y a à jouer devant des gens qui - dans la seconde - peuvent aimer ou ne pas aimer, rester ou partir. L’art du théâtre est un métier très difficile. Il faut être bon avec les acteurs. Ce n’est pas être stupide que d’être bon.
Êtes-vous sensible aux critiques sur vos pièces ?
Les pièces étant jouées à travers le monde, les critiques sont extrêmement différentes selon les pays. Il y a une relativité du goût et du regard sur les choses. Quand j’avais 25 ans, je les redoutais mais il y a bien longtemps que je ne m’y intéresse plus. Je ne lis ni les bonnes ni les mauvaises. Les bonnes vous font croire que vous êtes génial et les mauvaises vous font penser que vous n’êtes rien. Dans mon métier, on n’est ni génial ni rien, on se situe sur notre propre ligne de crête, sur le chemin qu’on a décidé de tracer en dehors des commentaires des uns et des autres.
Vous êtes connu pour votre incroyable force de travail. Que faites-vous quand vous ne travaillez pas ?
Je travaille tout le temps ! Ce n’est pas une phrase, c’est une vérité. Je fais dix créations par an dont une en France et toutes les autres à l’étranger. Entre septembre et fin juillet, je répète ou j’écris. Je prends uniquement trois semaines en août. Trois semaines où je disparais complètement, souvent dans des pays très lointains, où l’on ne parle pas français, immergé dans une culture inconnue. Ma vie n’est que travail, j’adore ça, le reste m’ennuie.
*Architecture avec Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès, Pascal Rénéric, Laurent Poitrenaux et Jacques Weber.
Propos recueillis par Nathalie Truche