Avant de connaître la lumière, l’artiste belge de 29 ans a enregistré des milliers de maquettes dans sa chambre. Intitulé [prèchof], son deuxième album pose des textes engagés sur des mélodies accrocheuses. Noé Preszow : plus qu’une révélation, la confirmation d’un talent d’auteur-compositeur-interprète et musicien.
Être chanteur, c’était une évidence ?
Complètement. J’écoutais de la chanson française avec mes grands-parents, Brel, Barbara, Anne Sylvestre… Moi qui n’aimais pas l’école, qui préférais être seul à me parler dans ma tête, la chanson française m’a tout de suite passionné. J’ai commencé à poser plein de questions, cherché à savoir qui était qui, qui chantait quoi. Ça m’a animé et plus jamais quitté. Quand j’ai découvert Renaud à 6 ans, il est devenu le centre de ma vie. D’abord son répertoire, puis celui de tous les autres artistes que je découvrais à la médiathèque. Et puis, j’ai commencé le violon très jeune, que j’ai remplacé par la guitare vers 12 ans. Un jour, je suis tombé sur un enregistreur appartenant à mon père et là, je me suis mis à écrire, à m’enregistrer sans réfléchir, sans m’apercevoir que je faisais des chansons.
Comment présenteriez-vous votre musique ?
Ce sont des chansons, en français, avec des guitares et des choses que je bricole dans ma chambre et en studio. Quand je sors de scène et qu’on me dit « c’était du rock », je peux répondre sans rougir et avec beaucoup de joie : oui c’est vrai, c’était un concert de rock. Quant à l’album, s’il fallait le ranger dans une catégorie, ce serait du pop rock. En concert, il y a quelque chose de plus clair et de plus radical. En termes d’énergie ou de voix, le disque est à 60% de ce qu’est la scène. Peut-être que j’enregistrerai des albums live… Ça se dessine, c’est très excitant. Je n’ai pas encore tout déployé.
Révélation masculine aux Victoires de la musique 2021, deux albums, des tournées… comment vivez-vous cela ?
Après le premier album, j’ai eu du mal à accepter cette forme de lumière parce qu’elle s’accompagnait de la période du Covid. C’était très étrange qu’on s’intéresse enfin à ma musique alors qu’en même temps, une pandémie touchait le monde entier. Je ne me sentais pas légitime. Pas en tant qu’artiste, mais parce que je voyais tellement de gens pour qui la vie était en train de basculer. Je pense aux jeunes artistes, comme moi, qui étaient dans la dèche. Pour la plupart des gens, ça n’allait pas trop et moi, on m’entendait à la radio, on me voyait à la télé. Quelque chose en moi m’empêchait un peu de me réjouir. Aujourd’hui, la lumière me permet de mieux appréhender demain. Mon plus grand plaisir, c’est de pouvoir envisager mes futurs concerts, mes futures chansons, d’avoir plein d’idées d’album alors que pendant longtemps, je me pensais condamné à composer dans ma chambre. Je peux me projeter un peu plus, mais j’ai conscience que tout ça reste fragile.
Vous donnez l’impression de sortir vos tripes sur chaque chanson…
Absolument. Il y a de la souffrance et de l’enthousiasme quand j’écris. On me dit qu’il y a beaucoup de mots dans mes chansons mais c’est comme ça que je fonctionne. J’ai besoin de matière. Si j’ai un thème dans la tête sans ressentir un besoin viscéral d’en parler, ça ne va pas très loin. Il faut que j’aie moi-même une curiosité. Par exemple, le titre « La gare » aborde la guerre en Ukraine. Je tenais à en parler mais il fallait que je trouve l’angle et j’étais aussi curieux de voir comment je réussirais à le faire. C’est un double sentiment, comme si j’étais un auditeur de moi-même. Je n’ai pas le syndrome de la page blanche mais je cherche le mot juste pendant des mois, voire des années. La douleur vient de la quête du mot juste. Pour ce disque, j’ai eu plus d’énigmes à résoudre.
On me dit qu’il y a beaucoup de mots dans mes chansons mais c’est comme ça que je fonctionne
Justement, qu’a ce deuxième album de plus et de moins que le précédent ?
Le premier album, je voulais qu’il ressemble à ma chambre, je retenais un peu mon chant. Je ne l’ai pas envisagé comme une carte de visite où on dit tout ce qu’on sait faire, on se déploie. Peut-être parce que j’ai commencé très jeune. C’était une période de ma vie de musicien où j’avais envie de chanter un peu moins fort et de mettre un peu moins de guitare. J’en assume tous les textes, les mélodies, les arrangements. Le nouvel album est plus vivant sur la forme, plus frontal sur le fond, avec des chansons sur l’extrême-droite, par exemple, ou sur l’Ukraine. Il se libère aussi avec [prèchof], cette chanson qui donne le titre à l’album et qui raconte mon histoire familiale alors que je ne voulais pas en parler jusqu’à présent. Ce disque est plus libre, moins dans la retenue.
Pour quelles luttes serez-vous toujours prêt à descendre dans la rue ?
Sans vouloir faire de hiérarchie dans les combats, je dirais que c’est le sort réservé aux exilés, aux réfugiés, aux sans-papier. C’est ancré en moi depuis toujours. Même si nous sommes nombreux à nous en soucier, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas, chaque semaine dans le monde entier, des manifestations de millions de personnes qui se disent « tiens, des gens sont en train de mourir en mer et la vie continue, comme si de rien n’était ». Ça me scandalise.
Vous sentez-vous un artiste militant ?
Complètement. Artiste engagé mais aussi militant de la solitude. Je peux militer pour certaines causes, être un citoyen qui va en manif. En même temps, je ressens le besoin de passer du temps seul, à l’écoute du monde, pour faire ma propre opinion et ne suivre personne d’autre que mon ombre, que les étoiles. Je me sens militant mais pas enchaîné. Comme disait Albert Camus : solitaire et solidaire.
Si vous n’aviez pas percé, que seriez-vous devenu ?
Je serai devenu mort ! Entre 17 et 22 ans, je distribuais mes démos sous le titre « Posthume ». Ça voulait dire : qu’on me découvre ou pas, j’aurais fait ce que j’avais à faire et aujourd’hui, ça me guide encore. Vingt-six chansons sont sorties et des centaines sont restées dans les tiroirs. Mais je continue à avancer en sous-marin. La place de chanteur est fragile mais je n’ai jamais envisagé de faire autre chose.
Propos recueillis par Nathalie Truche