Dans son nouvel album intitulé Oizel, l’auteure-compositrice-interprète met le jazz de côté pour poser sa voix éthérée sur des mots doux. Marion Rampal signe des ballades aériennes portées par des arrangements délicats et épurés. Planant.
Comment définiriez-vous votre musique ?
Sur les programmations de concerts, on a posé une sorte d’étiquette « jazz folk poétique ». Ça me définit bien parce que je viens du jazz, que les musiciens qui m’entourent évoluent aussi sur la scène jazz, soul et pop. Je porte une attention au texte, c’est donc de la chanson et je chante de plus en plus en français. Pour autant, je n’aimerais pas être classée en chanson française, ce n’est pas mon endroit.
L’album s’appelle Oizel. Difficile de ne pas penser à l’oiseau…
Oui, il s’était déjà invité sur l’album précédent et pour ce disque, il s’est imposé à moi. L’oiseau représente la figure de la liberté, du monde sensible, de la perception des animaux, de la migration et de l’étrangeté. Parce que les oiseaux sont des êtres assez étranges, ils sont proches de nous, on peut les observer, mais ils sont complètement différents. Bertrand Belin pense que ce sont des bipèdes frustrés (rires). Selon lui, les oiseaux ont deux pattes, peuvent s’envoler, mais ils aimeraient marcher comme nous. Alors que nous, on voudrait voler !
Cet album suit-il un fil conducteur, un scénario ?
Pas vraiment. Il y a un recueil de poèmes, de figures qui vont de l’intime au plus ouvert sur l’autre, comme Tangobor ou La grande ourse, un titre relié à une vraie histoire de Florence Aubenas. Il n’y a pas de fil conducteur mais la volonté quand même de scénariser la tracklist, avec Aux fleurs à la fin, un morceau d’éclosion. Nous l’avons signé à cinq personnes, chacune ayant mis sa patte. C’était une suggestion de Matthis Pascaud, mon réalisateur. Il m’a dit : comme tu as déjà beaucoup de chansons avec refrains et couplets, ce serait bien d’avoir un air qui fait rêver, qui laisse place à l’imagination. J’aime bien l’idée de clore un disque avec un morceau différent, qui permet d’ouvrir vers la suite, comme un souhait vers l’avenir.
Les morceaux recèlent de nombreux souvenirs d’enfance…
De plus en plus. Au gré de l’écriture, je me suis rendu compte que des choses s’imposaient à moi. Par exemple, le morceau D’où l’on vient parle de ma grand-mère Madeleine. Je me suis dit qu’au-delà de la musique, par l’évocation de personnes que j’ai connues, de ma famille, je pouvais contribuer à faire mémoire à travers les paroles. Ce qui est formidable avec la chanson, c’est que la mémoire, d’abord intime, devient collective quand elle est écoutée, partagée et appréciée.
Comment est né le duo avec Bertrand Belin sur De beaux dimanches ?
Nous avons eu une réflexion autour des personnes qu’on avait envie d’inviter sur ce disque. On cherchait à expérimenter une voix profonde, un timbre qui change des autres albums. La figure de Bertrand Belin s’est imposée car on admire beaucoup son travail. On a essayé plusieurs systèmes et retenu le duo où l’on chante vraiment ensemble, à l’unisson, c’est ce qui fonctionnait le mieux.
Vous vous êtes mise à écrire en français récemment. Pourquoi ?
L’anglais est une langue que je me suis choisie en commençant à chanter. Peut-être parce que dans ma famille, on ne parlait pas bien anglais et que c’est devenu un monde poétique dans lequel je me suis réfugiée. Je l’ai fait avec beaucoup d’attention, de précision. Je lisais des poètes, des songwriters, je regardais les films en anglais. J’ai aimé m’exprimer dans cette langue et la musique qui m’influence est américaine ou anglaise. Puis il y a eu une sorte de fantasme, de pulsion à m’exprimer en français. L’équation a été très compliquée à résoudre. J’ai d’abord commencé par chanter d’autres interprètes, notamment dans mon projet Le secret. Puis il y a eu le choc sonore à la Nouvelle-Orléans en écoutant des collectages de femmes créoles louisianaises ou cajuns qui chantaient a capella dans leur cuisine. Ça m’a vraiment donné envie de revenir au français. Ou plutôt, d’aller vers le français, comme si c’était une langue étrangère mais en beaucoup plus intime.
Dans Oizel, comment la voix s’est mariée avec les arrangements ?
Depuis deux disques, il y a un travail sur l’épure, la volonté de se départir d’influences, d’inflexions et peut-être aussi de faux-semblants, même s’ils nous font parfois plaisir à entendre. J’ai essayé de ne pas maquiller ma voix, ni les effets autour. On cherchait quelque chose de plus proche du texte et de la mélodie.
Que gardez-vous de Marseille, votre ville natale ?
Dans Oizel, deux empreintes en particulier ressortent. D’abord, celle de la langue des Français d’Amérique. En Provence, il y a tout un corpus de lexique de mots ou d’expressions qui viennent de l’occitan, du napolitain, du corse, du niçois. Dans mon enfance, chez mes grands-parents et mes parents, ces expressions, ces intonations chantantes ont toujours été très présentes. Ensuite, il y a le monde sensible. Marseille est une grande ville mais j’ai grandi dans des quartiers excentrés et très arborés. J’allais souvent à la plage, à la campagne. J’ai appris très tôt à évoluer dans un monde sensible, certes un peu domestiqué, mais fait de nature, de forêts, de mer.
Vous sentez-vous libre dans vos compositions ?
Oui, je crois. En tout cas, il faut saisir assez vite un fil où l’esprit de la chanson est adapté à la scène ou à l’enregistrement. Parfois ce n’est pas le cas, alors on laisse de côté ou on reprend plus tard. Sur ce disque, il y a autant de chansons écrites en quatre heures qu’en quatre ans. Elles ont eu des durées de croissance très variées. Je fais confiance à ce processus-là.
Votre nid, il se trouve où ?
Dans la musique. J’ai une grande amie à la Nouvelle-Orléans qui dit ça. D’ailleurs, c’est le titre d’un album de Raphaël Imbert : Music Is My Home. C’est vraiment ça, la musique, c’est chez moi. Ma maison se trouve partout où je chante des morceaux venus de l’enfance et du passé.
Propos recueillis par Nathalie Truche