Marie-Pia Bureau a une certitude : « La vertu de l’art est de nous déplacer dans nos certitudes ».
Quelle est la force de l’espace Malraux ?
Un de ses atouts est qu’il a été pensé comme un lieu multidisciplinaire. On y trouve un cinéma, des galeries d’expo, des salles de spectacles. Il offre une vraie richesse et de véritables possibilités de circulation des gens entre les différentes formes d’art.
Vous souhaitiez en faire un lieu de vie, avez-vous tenu votre pari ?
Oui, je pense. Par exemple, lors de la nouvelle saison, le public a découvert que nous avions ouvert un bar. L’idée est importante, non pas seulement de venir à un spectacle, mais de partager avec d’autres. Aller au spectacle c’est voir, regarder, percevoir les choses ensemble, que ce soit un support à la discussion. Cette dimension du « ensemble » est fondamentale.
Quel est le profil du public de l’Espace Malraux ?
Contrairement à ce que l’on croit, il n’y en pas. On m’a déjà dit « oui, mais ce que vous faites c’est que pour les « bobos » et les enseignants ». Nous vendons 70 000 billets par an, ça fait donc beaucoup de bobos et d’enseignants ! Sérieusement, tout dépend des propositions de spectacles que nous faisons. Les publics se constituent de références culturelles assez cloisonnées et nous sommes là pour les décloisonner, pour faire tomber les barrières.
Quelle griffe avez-vous apportée à la programmation ?
Arrivée en 2013, ma véritable saison n’a commencé qu’en septembre 2014. Je n’essaie pas de tout changer, dans la mesure où nous avons une structure qui fonctionne très bien avec un public nombreux. Ma griffe se reflète sans doute dans les trois artistes associés que j’ai choisis : Fanny de Chaillé, Phia Ménard et David Gauchard qui ont en commun de travailler dans la transdisciplinarité. C’est un bien grand mot, un peu pompeux, pour dire qu’ils mélangent la danse, le théâtre, du visuel, du texte, de la musique. L’idée du mélange entre les arts est profondément inscrite dans une modernité.
Un spectacle vous a-t-il surprise ?
Je suis toujours surprise par les spectacles. C’est un de mes critères de choix pour un projet. C’est la vertu de l’art de nous déplacer dans nos certitudes, dans le regard que l’on porte sur le monde. Un spectacle devient ennuyeux et ne génère pas de plaisir quand il est dans la répétition, dans une forme qu’on a déjà vue. Il faut éveiller la curiosité, surprendre. Cela peut parfois aller jusqu’au choc. Un choc émotionnel reste longtemps. C’est un peu comme les aliments, avec les sucres rapides et les sucres lents. Il y a des spectacles à digestion rapide, qui font plaisir sur le coup mais que l’on va vite oublier. Et il y en a d’autres que l’on reçoit avec une sorte de de résistance, avec lesquels on n’est pas d’accord et puis, deux ans après, on les a toujours en tête.
Est-ce qu’un spectacle doit toujours porter un message ?
Non. Si le message est passé au surligneur, qu’à la fin on sait exactement ce qu’on doit penser, je n’aime pas trop. Je préfère les œuvres assez ouvertes mais avec du sens. Ce sens peut être complexe ou ambigu. Pour moi, le rôle d’un artiste n’est pas de nous dire ce qu’on doit penser. Un spectacle n’est pas de la propagande, au contraire, il est intéressant quand justement, il est un doute sur quelque chose, une perspective ouverte. Tout spectateur assis dans une salle doit cogiter mais être libre de ses idées.
Quel type d’art a vos faveurs ?
Je ne peux plus répondre à cette question et c’est assez récent. Quand j’étais petite, j’avais une couleur préférée, le jaune, puis ado c’était le bleu. Un jour, je n’ai plus été capable de choisir car c’est l’harmonie, le mélange des couleurs qui me plaisait. Au départ, je viens du théâtre et je voyais la danse comme une espèce d’art décoratif, ce qui était une idiotie de ma part. Désormais, ce qui m’intéresse est l’endroit auquel se place un artiste, dans quelle histoire, quel rapport il a avec le public, sa virtuosité... Plus on est capable de s’ouvrir aux arts différents, plus on s’enrichit.
Un mécène vous offre un budget illimité, qu’en faites-vous ?
Un spectacle dans le paysage. L’idée est que toute la ville aurait envie de se déplacer pour voir une œuvre qui se jouerait dans la montagne, un peu au-dessus de Chambéry. Pour moi qui viens des bords de mer, la montagne reste un événement incroyable. Ici, les gens y sont attachés mais finissent peut-être par ne plus la voir. A force de vivre dans des environnements de plus en plus urbains, de plus en plus éclairés, le regard finit par se polluer. Pour laver un peu l’œil, je passerai commande à des artistes pour créer quelque chose dans cet espace naturel et refaire voir aux gens leur patrimoine exceptionnel.
Propos recueillis par Nathalie Truche