Les Gens dans l’enveloppe est un objet complexe. Le livre contient un roman, un album photo, le journal de bord de l’enquête de l’auteur et un CD d’Alex Beaupain : un pur écrin d’émotion et de mélancolie.
Isabelle Monnin est une journaliste et romancière française. Grand reporter au « Nouvel Observateur » de 1996 à 2014, elle s’éloigne ensuite du journalisme pour se consacrer à l’écriture de romans et devient éditrice chez Jean-Claude Lattès.
Un jour en 2012, Isabelle Monnin apprend que l’on peut acheter facilement sur internet des photographies d’inconnus. Fascinée par cette idée, elle achète un lot de 250 clichés des années 60 aux années 2000, cédé pour quelques euros par un brocanteur sur un site de vente en ligne. Elle les reçoit dans une grande enveloppe molletonnée et découvre des visages qu’elle ne connaît pas mais qui lui sont vite familiers : une vieille dame portant constamment des verres fumés dont l’air revêche lui inspire le surnom de « Mamie Poulet », un homme dans la fleur de l’âge au regard triste, une femme d’âge mûr souvent prise dans l’exercice de la course à pied qu’elle semble pratiquer en compétition, un vieux monsieur qu’elle tarde à remarquer tant la pellicule semble l’avoir oublié. Et surtout : une petite fille, ici en maillot de bain, là sur un vélo, ailleurs avec un chien et dont les yeux dans le vague frappe l’auteur. Mais où est sa mère, grande absente des images ? L’idée ne lâche plus Isabelle Monnin : il faut qu’elle écrive leur vie. Une fiction d’abord. Puis ensuite une enquête pour ranimer les Gens figés sur la pellicule.
Des scènes de la vie quotidienne dans un village de France, souvent mal cadrées et floues – Ces images font résonner trois voix dans la tête de l’auteur à commencer par celle de la petite fille qu’elle prénomme « Laurence », puis de sa mère, une « Michelle » qu’elle imagine prête à prendre la tangente, et enfin sa grand-mère, « Mamie Poulet » ou « Simone », guettée par la tentation de l’abandon à la mort. Poétique et métaphorique, la langue de cette première partie laisse ensuite place au journal de l’enquête. Au fil de l’enquête, on découverte avec émotion les vrais « gens », et l’ouvrage prend corps. Nos cœurs se soulèvent quand certaines intuitions se confirment - des prénoms, des motifs dont celui, récurrent, de l’abandon, des zones d’ombres imaginées, des caractères, des destins perdus.
Et il y a aussi, la magnifique bande-son d’Alex Beaupain - qui retrouve son goût pour les chansons d’amour - et sublime le projet. Dans le disque qui accompagne le romain, Camelia Jordana, Clotilde Hesme et Françoise Fabian interprètent des textes qui sont autant de rêveries des « Laurence », « Michelle » et « Simone », mais surtout, la « vraie » Laurence, ses enfants et parents qui ont accepté de reprendre d’une voix forte et fêlée à la fois, des standards qui les ont marqués.
Un conseil chers lecteurs, n’écoutez pas le CD avant d’avoir lu le livre. Ce serait dommage et gâcher la triple émotion que constitue cet objet hybride travaillant à confronter 3 genres artistiques à travers la question de la mémoire (et de nos mémoires).
Les Gens dans l’enveloppe - Écrits par Isabelle Monnin / Chansons d’Alex Beaupain, paru aux éditions JC Lattès