Procrastination mon amour
Je me souviens de cette fois, alors au lycée, en seconde. Ce lundi après-midi là, je n’avais strictement rien à foutre à part un devoir de français, à rendre pour le lendemain, forcément, ça faisait près de deux semaines qu’il était noté dans mon agenda. Et bien cet aprem en question, enfin, je décide de me mettre au turbin.
J’organise mon bureau, sors mon stylo-plume préféré, une cartouche de rechange (on ne sait jamais), un effaceur, une règle, une copie double et ma folle envie de démarrer. Je me rends rapidement compte de mon erreur d’avoir trop attendu quand je découvre avec fureur qu’il s’agit d’une rédaction sur Bel-Ami de Maupassant, bouquin que j’ai tout bonnement oublié de lire. Super Marie, génial, il est 16h et le devoir est à rendre demain matin. Je fulmine, je me déteste, c’est pas vrai, quoi.
Super Marie, génial, il est 16h et le devoir est à rendre demain matin. Je fulmine, je me déteste, c’est pas vrai, quoi.
Je décide donc de lire le bouquin. Mais non sans une petite musique d’ambiance, faut pas déconner, en plus j’ai un cd de Ben Harper au top que je viens d’acheter à la Fnac. Je presse « play » sur ma chaîne hi-fi et chantonne. Bon je vais lire le petit livret de l’album « Burn to Shine », quand même, c’est pas hyper long et puis je serai au taquet niveau lecture pour la suite. Sur mon lit, je découvre alors que Ben Harper, au delà d’être un BG de première catégorie, écrit des textes merveilleux. Enfin j’ai 16 ans, hein.
« Won’t you siiiiing me the bluuuuues (…) » je suis à donf. Je me dis que cet album est et restera mon favori toute ma vie, c’est pas croyable, autant de tubes potentiels concentrés dans un si petit objet de 12cm de diamètre. Quel talent, ce Ben, je me repasse ses chansons parce que le cd est fini depuis un bail, la vie est belle sans dec’. Je décide de faire un « petit reposé » sur « In The Lord’s Arms » parce que, vraiment, cette chanson est fabuleuse.
Je me réveille à 19h les yeux collants et la bave aux commissures des lèvres, ouais, bonne sieste visiblement. Merdum. Je dois rendre ce foutu devoir dans… treize heures. Bon je n’ai pas lu Bel-Ami, mais mon bureau est nickel, au moins. La langue pâteuse, je décide de me faire un petit thé. Je file dans la cuisine de mes parents et tarde à choisir. Mmmm… Jasmin ? Thé Vert ? Noir ? Bergamote ? Je me rends compte que je n’ai jamais bu de thé de ma vie. C’est dingue, ça. Seize ans de vie et jamais gouté de thé. Dingue. Du coup forcément, il faut bien une première fois. Disons aujourd’hui, comme ça je serai en forme pour ma lecture et la rédaction qui suit, parce que j’aime autant te dire, ma cocotte, que ça va être long.
« Won’t you siiiiing me the bluuuuues (…) » je suis à donf.
D’ailleurs on n’a pas de biscuits dans ce satané appart. 19h10. Monop n’est pas encore fermé, franchement, ça se tente. J’enfile mon plus beau blouson, mon plus chatoyant bonnet et mes skate shoes dégueu. On a la chance d’habiter à 400 mètres du supermarché, heureusement. Je rentre et repère assez rapidement un ptit sweat très cool. Je l’essaye, me mire, me re-mire, il est par-fait. Par contre, dis donc, 150 francs c’est abusé. Ou alors je zappe les biscuits. Chais pas. Arf, tant pis, j’ai trop envie de Pim’s. Allez, je me rhabille, chope mon casse-dalle et file à la caisse.
8 francs. Je cherche. Poche droite, poche gauche, poches arrière, rien à faire. J’ai oublié mon porte-monnaie dans la précipitation. De mieux en mieux. Je m’excuse platement auprès de la caissière un peu revêche. La hooooonte, je pense. Rhalala je sens que mes joues sont chaudes, elles doivent être rouges, l’enfeeeer (encore une fois, j’ai 16 ans) ! Je sors du Monop en trombe, file comme un pet sur une toile cirée et rentre chez moi toute penaude.
C’est pas tout ça mais je dois encore ranger le placard, sinon ma mère va me buter. Je commence à organiser le bordel quand je tombe sur les albums photo.
J’arrive dans l’appartement colère. Pas de biscuits c’est une chose, mais j’avais surtout laissé l’eau du thé sur le feu. De la flotte partout sauf dans la casserole, en somme. Petite étourdie. C’est pas grave, je me dis, je vais refaire chauffer de l’eau. En attendant quoi de mieux que de démarrer mon bouquin. Je me dirige vers ma chambre, quand tout à coup, une mouche. Elle me tourne autour, c’est pas possible, on n’est vraiment pas aidé. Du coup je décide de chercher la tapette histoire de m’en débarrasser une fois pour toutes.
Une fois l’intégralité des objets présents dans le placard éparpillée sur le sol, je dois me rendre à l’évidence : on n’a jamais eu de tapette à mouche. J’entends l’eau qui boue. On m’aura pas deux fois, je file dans la cuisine et me sers un mug énorme de ce fameux brevage. Pas assez de sucre. Mais tant pis. C’est pas tout ça mais je dois encore ranger le placard, sinon ma mère va me buter. Je commence à organiser le bordel quand je tombe sur les albums photo. Je ricane parce que je vais sans doute trouver des photos un peu ridicules de mon frère et pouvoir me foutre de lui, ou mieux, le faire chanter. Mais non, il est super photogénique ce petit bâtard. Moi, moins, en revanche. Je louche sur la quasi totalité des clichés de 0 à 3 ans. Allez stop, ça ira bien comme ça, on arrête le massacre. Par contre les albums sont vides et les photos dans des enveloppes. Je peux sans doute remédier à ça.
La procrastination est un véritable fléau me concernant. Tout remettre au lendemain, tel est mon crédo.
Après un collage méticuleux des souvenirs à la UHU Stick dans les livres de photo, je me sens mieux. J’ai pas fini mon thé, par contre, c’est pas pour moi ce machin, beaucoup trop amer. Quelle heure est-il, au fait ? 21h30 ? Sensass. Donc si je résume bien, je me suis tapée la honte à Prisu, j’ai fait crâmer une casserole, le placard est par terre, j’ai pas lu Bel-Ami et donc pas non plus fait la rédac, et là qui voilà ? Le retour de la mouche ? Non… C’est trop. Foutu pour foutu, les parents n’étant pas là, j’appelle une copine du lycée, lui propose un Quick et me rhabille sans oublier mon portefeuille, cette fois.
Arrivées là-bas, je lui demande : t’as fait ta rédac toi ? Elle me répond que oui, qu’elle a chopé le résumé sur Encarta et brodé autour. Cette fille est un génie. Sauf que je n’ai pas Encarta, moi. Et pas d’internet dingo non plus, hein, on est en 2000, les gars. Mais bon, pas folle la guêpe, j’avais pris un papier et un stylo, et je la supplie de me résumer son résumé de résumé pompé sur le logiciel. Je note la trame, l’élément perturbateur, tout ça, et, une fois rentrée, me mets à broder autour. Trois pages, ça fait le taf, emballé c’est pesé.
Que vous le croyiez ou non, msieurs dames, j’ai eu 13/20. Ma pote, elle, à peine la moyenne. Ca ne lui a pas trop plu d’ailleurs, mais bon, entre malfaiteurs, on reste amis.
Pourquoi vous ai-je raconté cette jolie histoire ? Mais parce que la procrastination est un véritable fléau me concernant. Tout remettre au lendemain, tel est mon crédo. Et je voulais juste que vous sachiez à quel point il m’est compliqué de faire les choses en avance. Là par exemple, nous sommes à quelques heures seulement de la parution de cette chronique et j’ai les mains qui suent, un mug de thé amer sur mon bureau et devinez quoi ? Une mouche sur mon écran d’ordi. Comme quoi, les belles choses ne changent pas. Enfin sauf que j’ai un peu fait le tour de Ben Harper…
Oh ! D’ailleurs j’ai vu une chouette série sur Netflix, là, je vais peut-être remettre la fin de ma chronique à plus tard… Que les procrastinateurs ne s’étant pas reconnus dans ce texte me jettent la première pierre.
Allez… Bisous !