Manel Naher, la célébrité, elle n’en a rien à faire. Pourtant elle va devoir s’y mettre car dans son monde, être oublié c’est mourir.
La voilà la belle surprise de la rentrée, celle qui secoue de partout et fait cogiter !
À vrai dire, je me suis rarement sentie aussi connectée à un ouvrage et à son contenu. Moi qui peste en permanence contre la pseudo célébrité et le racolage incessant auquel on assiste souvent malgré nous sur les réseaux, j’ai apprécié d’en lire ici une critique féroce et maligne. Si comme moi, être populaire ne vous fait pas rêver, laissez-vous guider par cette héroïne atypique dont la vie va soudainement basculer. Le mainstream et les people, très peu pour elle. Incroyable d’ailleurs, elle ne connaît même pas la starlette de la chanson qui porte le même nom qu’elle ! Manel vit dans son petit monde, avec son meilleur ami et ses bouquins. Et ça lui suffit.
Au début du récit, Manel Naher l’anonyme se promène joyeusement avec ses bouquins sous le bras dans une ville où grouillent des noms. Elle sautille dans la rue, toute heureuse de ses trouvailles à la librairie. Autour d’elle, le décor est saturé de noms de gens, comme des enseignes lumineuses. On prend un malin plaisir à tous les déchiffrer malgré leur surnombre et leur bizarrerie, en reconnaissant un au passage de temps en temps.
Malheureusement, dans le monde de Manel, la survie dépend de notre présence et donc de notre célébrité. Manel qui a deux potes seulement, risque gros. En urgence vitale, elle se voit prescrire une cure de renommée à base de séances en boîte de nuit 4 fois par semaine, de soirée cakes 5 fois par semaine, des réunions de famille autres déjeuners d’affaires pour ne pas disparaître définitivement. Le médecin est catégorique ; sans ça, elle ne survivra pas.
Tout ceci contrarie fortement le projet de son ami Ali qui souhaite depuis toujours l’emmener dans « le grand vide », cet endroit mystérieux où ils entendent être en paix.
Manel devra faire des choix : son rêve d’enfance ou la célébrité pour ne pas s’effacer de ce drôle de monde. Je ne vous raconte pas l’issue mais ce que je peux vous dire assurément c’est que j’ai trouvé cet album bluffant. Cette encre bleue aux reflets changeants, cette manière de proposer un genre de super deformed, le découpage si dynamique, l’aspect un peu ancien de l’illustration, les multiples typographies utilisées… J’y ai retrouvé tout ce que j’aime chez mes mangakas favoris. C’était comme si Tezuka, Kamimura, Tatsumi et Mizuki étaient venus me faire coucou tous d’un coup. Léa Murawiec, jeune illustratrice propose ici une performance digne d’une artiste qui a tout compris, tout assimilé et propose une oeuvre d’une grande originalité.
Non seulement l’ouvrage est splendide mais le propos est percutant et résonne mille fois en moi.
À l’heure où être célèbre n’a plus rien à voir avec le talent, ce Grand vide balaie d’un grand coup de pied salvateur une certaine manière d’exister en se montrant de partout.
Gaëlle Poirier