Au milieu des volutes et des tourbillons de cendre noire, un père et son fils entament une fuite sans espoir vers le sud. L'adaptation par Manu Larcenet de ce grand classique de la littérature américaine est le choc littéraire et graphique du moment.
C'est un album dans lequel on ne distingue plus ni le jour ni la nuit, où tout espoir est absent dès la première case. Alors à quoi bon s'infliger pareille torture que la lecture de cette histoire apocalyptique ? Surtout lorsque l'on connaît déjà l'histoire par cœur, car elle est l'une des plus emblématiques de ces 20 dernières années.
Peut-être pour sa radicalité et sa noirceur, rarement égalées, qui ne laissent aucun répit au lecteur. Pas de câlin réconfortant ni de joie à l'horizon, tout y est sombre et plus sombre encore. Vous serez prisonniers de ce monde apocalyptique en compagnie de ces deux valeureux marcheurs confrontés à la pire des barbaries.
Sur la route, des cadavres jonchent la route que l'enfant et son père parcourent avec le caddie qui contient tous leurs biens. Dans ce monde décharné comme les corps des protagonistes, la survie est le seul but. Se nourrir, se cacher, se réchauffer, tenter de dormir sont les uniques préoccupations des deux personnages principaux. Taiseux, peu affectueux afin de préparer son fils au pire, le héros ne ménage pas sa peine pour offrir à son enfant matière à réfléchir, à continuer d'avancer malgré tout. Il veut tout lui apprendre, lui transmettre, lui donner la force et la possibilité de poursuivre sans lui.
En effet, dans cet album, si l'on compte peu de mots, ce sont néanmoins des phrases de sage qui ponctuent cette terrible histoire d'apocalypse.
La peur panique de l'enfant se fait palpable, la faim envahissante et le froid engourdissant. Courageux bonhomme, engoncé dans les plis de ses multiples couches de vêtements, désireux de voir le bleu de l'océan, comme un but ultime à cette folle cavale ! Dans ce monde en nuances de gris, il y a quelquefois quelques répits : une séance de luge sur cendre nous permet d'apercevoir un sourire, la dégustation d'un soda pétillant, le calme d'un abri cosy et rempli de vivres pour quelques nuits. La neige, elle aussi, avec sa blancheur qui irradie, nous donne un peu de clarté.
Les images parlent d'elles-mêmes, troublantes de beauté et de noirceur. Explicites et percutantes, telles des gravures à la Albrecht Dürer, les illustrations de Larcenet n'ont jamais été si belles. Pourtant, le niveau était déjà élevé dans Blast et Le Rapport de Brodeck, deux œuvres déjà d'un niveau exceptionnel.
Larcenet, avec cette cavale perdue d'avance, propose une œuvre majeure de la bande dessinée. De celles qui remuent tripes et boyaux, marquent au fer rouge comme peu le font. Oeuvre métaphorique et métaphysique, La Route a encore un long chemin à faire vers ses lecteurs et nul doute que la BD de Manu Larcenet sera un fabuleux accélérateur de découverte de ce roman culte de Cormac McCarthy paru en 2006.
Alors certes, je ne vous promets pas de la joie, mais quand même de l'émerveillement face à la beauté et la radicalité absolue de cet ouvrage.
Partez sur la route, vous n'en reviendrez pas totalement intact, mais c'est à cela que l'on reconnaît les chefs-d'œuvre après tout !