Il y a des pièces qui ne se contentent pas de raconter une histoire ; elles éveillent les sens, les émotions et, parfois, une profonde réflexion sur notre propre existence. La Meilleure Place, la nouvelle création de la Cie Volodia, est de celles-là. Dans cette comédie dramatique, trois sœurs se retrouvent, après vingt ans de séparation, pour un moment aussi attendu que redouté. Le temps a fait son œuvre, mais les rancœurs et les élans du cœur, eux, n'ont pas disparu.
« Dans cette pièce, il est aussi question de notre rapport au temps », explique Manon Pulver. Ce subtil mélange d'humour et de philosophie scrute les relations familiales sous toutes ses facettes : celles qui nous lient, qui nous divisent, et celles qui, au bout du compte, nous définissent. Ce sont trois sœurs – Ilde, Matcha et Gia – qui, chacune à leur manière, ont vécu un parcours bien différent. L'aînée, la cadette et la benjamine. Mais, contrairement aux sœurs de Tchekhov, ces trois-là ne sont pas figées dans un destin implacable. Elles sont en mouvement, en quête, en discussion constante avec leur passé et leur présent.
Le texte de Manon Pulver, écrit sur mesure pour Le Crève-Cœur, nous plonge dans un avenir pas si lointain, celui de 2045. Un avenir où les liens familiaux, bien que toujours vivants, sont chamboulés par le temps et les changements personnels. L'héritage n'est pas seulement matériel ; il est aussi émotionnel, immatériel. L'héritage de l'enfance, de la sororité, des disputes et aussi, des moments de tendresse en famille. « J’avais envie de poser la question de la place que l’on prend à travers la fratrie », précise-t-elle.
« Eh bien moi, être l’aînée, j’aurais préféré ça tu vois. Parce que la place de cadet, à part en Bourgogne au temps de d’Artagnan, c’est assez peu exaltant », déclare l'une des sœurs, une réflexion qui résonne profondément dans les débats qui suivent.
À travers de ces échanges, la pièce interroge la notion de « place » : cette place au sein de la famille, dans la hiérarchie des âges, des responsabilités, et dans l’imaginaire collectif. Chaque sœur est en quête de ce qu’elle pourrait être devenue si les choses avaient été différentes...
UN VERTIGE EXISTENTIEL DANS UN CADRE FAMILIER
Mais cette question de la place n'est pas seulement une réflexion théorique : elle s'incarne dans les dialogues piquants et parfois déconcertants entre les personnages. Les digressions, les souvenirs enfouis, les confessions et les non-dits dessinent le tableau complexe des relations humaines. Peut-on changer de place, et surtout, la « meilleure place » existe-t-elle vraiment ?
Si la pièce s’attaque à la rivalité, elle l'aborde sous l’angle des liens indéfectibles, ces moments de complicité qui se révèlent, malgré tout. Car au cœur des tensions et des divergences, il existe un fil invisible, fragile et essentiel. Un fil qui unit ces sœurs, malgré tout.
UNE MISE EN SCÈNE SINGULIÈRE
La mise en scène de Nathalie Cuenet, qui signe également la direction du projet, apporte une touche de subtilité et d’élégance à l’ensemble. La scénographie d'Anna Popek et les lumières de Danielle Milovic contribuent à créer une ambiance intime et immersive, propice à cette exploration des âmes et des cœurs. La dimension émotionnelle est portée par les performances solides des trois comédiennes : Barbara Baker, Caroline Gasser et Léonie Keller, qui incarnent les personnalités contrastées des trois sœurs.
Manon Pulver, dans son texte, parvient à combiner philosophie et humour. Elle pose des questions essentielles tout en évitant le piège du discours trop lourd ou moraliste.
UN SPECTACLE SAVOUREUX, À NE PAS MANQUER
La Meilleure Place est une pièce à la fois légère et profonde, qui résonnera pour chaque spectateur. Elle touche à l’universel, tout en offrant une réflexion intime sur ce que signifie réellement être à sa place dans notre monde. La quête de cette place, peut-être, est un combat sans fin...
Manon Pulver ajoute : « J’aimerais que les gens ressentent en sortant du spectacle, que le théâtre est un endroit refuge, un lieu de réconciliation, et qu’il s’agit finalement moins de connaître sa place que de clarifier la nature des liens que l’on tisse avec les autres. »
Carole Cailloux