Après la parenthèse imposée par la pandémie du coronavirus, l’Orchestre de la Suisse Romande attend avec fébrilité le retour de son public. Au fil de ses concerts et opéras, l’OSR fait voyager les spectateurs à travers les époques. Jonathan Nott nous livre l’avant-goût d’une saison qui ouvre des horizons.
Comment l’OSR a vécu le confinement lié au Covid-19 ?
La musique ouvre une porte vers une autre existence mais la question est : quelle musique voulons-nous ? Pour les musiciens professionnels, la volonté est de partager la musique en live. Or, les concerts en direct ont disparu ces derniers mois. Nous nous interrogeons : le public reviendra-t-il ? Aura-t-il peur ? C’est à nous, artistes, de faire en sorte que le public se sente rassuré. L’humanité n’existe pas sans art. Le live streaming est incroyable mais notre art consiste à partager. Je vois en chaque difficulté la possibilité de réécrire un chapitre, de repenser les choses, de retrouver le but de la vie.
Comment résumeriez-vous la saison 2020/2021 ?
Quand je prépare une saison, je pense aux précédentes et aux suivantes afin de créer un équilibre entre toutes. Dans les grandes lignes, la saison actuelle se concentre beaucoup sur la musique contemporaine alors que la prochaine s’orientera plus vers la chanson. Je ne fais pas de programme à proprement parler, je veux transporter les spectateurs. Partager un concert avec l’OSR, c’est une expérience, un voyage de la première à la dernière note.
Qu’est-ce qui fait l’ADN de l’Orchestre de la Suisse Romande ?
L’orchestre se trouve à Genève, une cité pas très grande mais dotée d’une forte internationalité, au cœur d’une région profondément liée avec l’ONU et où la notion d’ambassadeur est fortement ancrée. J’ai utilisé les sonorités et la sensibilité de la musique française, russe, allemande avec un orchestre cosmopolite. Ce mélange fait sa spécificité. Par exemple, lorsque les musiciens jouent l’opéra, ils sont très flexibles, capables de changer la direction de la musique très vite, d’improviser en fonction du public.
PARTAGER UN CONCERT AVEC L’OSR, C’EST UNE EXPÉRIENCE, UN VOYAGE DE LA PREMIÈRE À LA DERNIÈRE NOTE
Où emmenez-vous les spectateurs ?
Cette année, à travers une brochure de présentation plus colorée et dynamique, j’ai tenu à changer l’image de l’OSR. Je voulais montrer que l’orchestre invite le public à une expérience vivante et intense. Pour moi, la musique est comme un cercle dont la moitié est tracée par les musiciens et l’autre moitié par la présence du public. Cette expérience n’est pas passive car l’interaction avec les spectateurs change la musique. Après la crise liée au Covid, les concerts doivent représenter une célébration de ce retour ensemble.
Quelle soirée conseilleriez-vous à un néophyte ?
Le premier nom qui me vient à l’esprit est Mahler avec les trois grands cycles de chanson. György Ligeti également pour son poème symphonique pour cent métronomes : en plus de créer un choc quand elle a été écrite il y a soixante ans, cette création peut susciter des questions chez le public : une musique composée de cent métronomes est-elle vraiment une musique ? Aije vraiment acheté un billet pour écouter le son de cent métronomes ? À la fin, quand deux à trois métronomes battent, le rythme est incroyablement complexe et la sonorité excellente dans la salle. Le tic du métronome fait alors ouvrir les oreilles en grand.
Quel concert vous semble le plus audacieux de la saison ?
Le programme proposant le premier piano concert de Liszt avec la sixième symphonie de Mahler. Lui-même a reconnu ne pas apprécier la musique de Liszt et pourtant, il a utilisé sa pièce. Cette confrontation apporte une autre dimension au voyage que propose la grande sixième de Mahler.
Quel invité de marque êtes-vous particulièrement fier d’accueillir ?
Cette année, nous avons eu la possibilité d’inviter beaucoup de chefs d’orchestre expérimentés et réputés : Christoph Eschenbach, Myung-Whun Chung, Jukka-Pekka Saraste, Constantinos Carydis… Nous en sommes particulièrement heureux car les grands noms ne sont pas toujours très disponibles. Nous avons aussi la chance d’avoir un pianiste suisse en résidence, Francesco Piemontesi. Il compte parmi les musiciens de notre époque qui ne veulent pas se limiter aux pièces anciennes et immensément connues. Francesco Piemontesi se sent autant à l’aise dans les musiques baroques, classiques ou contemporaines. Il joue Brahms, Beethoven, Mozart ainsi que les créations du XXe et du XXIe siècles. Il s’adresse aux mélomanes confirmés comme aux débutants. Avec Francesco, nous partageons le désir d’ouvrir des horizons au public.
Un virtuose à découvrir absolument ?
Parallèlement aux concerts de musique et aux opéras, l’OSR s’implique dans le Concours de Genève qui est l’occasion de découvrir de nombreux talents. Un autre exemple : le pianiste Kit Armstrong, qui nous rejoint cette saison et participe à la tournée avec l’OSR. Ce virtuose démontre une rare intensité dans ses interprétations. Vous savez, tout le monde connait Mozart mais beaucoup moins Salieri. Pour éviter que des compositeurs talentueux restent dans l’anonymat, il est nécessaire de chercher les nouveaux Beethoven.
Parlez-nous des créations suisses…
C’est un volet majeur de l’OSR et Michael Jarrell en est la parfaite illustration. En 2021, l’OSR présentera pour la huitième fois une œuvre de ce grand compositeur suisse. Les créations suisses ont leur propre identité car la musique donne la possibilité d’affirmer sa nationalité. La notion de nationalisme ne doit pas été considérée comme un vilain mot. Dans un pays, on partage beaucoup de choses : une langue, une culture, une histoire, une philosophie… La musique offre cette chance de porter l’empreinte de sa nation et de la partager avec le monde entier.
Propos recueillis par Nathalie Truche