Martin Fourcade a troqué les skis contre les planches. En janvier 2024, sa tournée fera étape à Bonlieu scène nationale à Annecy. Dans son spectacle intitulé Hors piste, le sportif français le plus titré aux Jeux Olympiques évoque sa carrière de biathlète à travers des anecdotes et des réflexions. Le récit de vie d'un immense champion, jalonné de victoires, d’échecs et de doutes. Rencontre.
Comment est né ce seul en scène ?
L’idée m’est venue pendant le covid. J’ai arrêté ma carrière par cinq courses à huis clos à cause de la pandémie. Du coup, j’ai cherché un projet qui me permettrait de faire l’au revoir que je n’avais pas pu faire d’un point de vue humain.
À quoi aurait ressemblé l’au revoir de l’athlète ?
Il aurait été plus chaleureux. En sport de haut niveau, on parle souvent de jubilé. On a cette tradition en biathlon, durant les championnats de France, de dire merci et au revoir pendant une course, de pouvoir vivre l’événement en public. À aucun moment, je n’aurais pu l’imaginer différemment mais par la force des choses, ça n’a pas pu se produire. Je n’en ai pas souffert sur le coup mais une fois posé pendant le covid, j’ai ressenti le besoin de proposer un au revoir un peu plus soigné.
La scène a répondu à ce besoin ?
Clairement oui. C’est un temps d’échange, de partage, l’occasion de revivre des émotions. Pour le moment, le pari est réussi.
Comment ont réagi vos proches à cette idée ?
Ils ont eu une réaction mitigée parce que le projet n’était pas anticipé. C’est vrai que leurs retours ont été plus prudents qu’enthousiastes.
Comment votre public accueille la tournée ?
C’est une pièce de théâtre, il n’y a donc pas d’interaction notable avec les spectateurs pendant la prestation. Mais il y a une salle qui vit et à laquelle je dois m’adapter. Le public est beaucoup plus chaleureux et partie prenante de la pièce que je ne l’avais imaginé. À la fin, lors des temps d’échanges, les réactions sont très positives, avec une compréhension totale de ce que j’ai voulu mettre en place. Le retour des médias et des professionnels me conforte aussi dans le choix que j’ai fait, les sacrifices, et le travail que j’ai mené pour rendre ce projet viable.
Vous avez écrit le spectacle seul ?
Non. Je savais exactement les anecdotes que je voulais raconter mais je sentais la nécessité d’être accompagné pour en faire un spectacle intrigant. J’ai fait appel à Sébastien Deurdilly qui travaille dans l’audiovisuel sur des projets de scénarisation.
Hors piste est 100% autobiographique ?
Oui. Autobiographique, intime et sincère mais c’est un spectacle qui parle à beaucoup de monde. Quand j’évoque la retraite du sportif de haut niveau, ça appelle aussi à la retraite que peuvent vivre les gens. Quand j’évoque la fin d’une vie professionnelle ou la relation avec mon frère, ce sont des sujets universels. Tout comme les sentiments ambivalents qu’on peut avoir en soi, notamment par rapport à la réussite, à l’égoïsme, à la compétition. Ces choses ne sont pas forcément tout blanc ou tout noir, je les évoque avec ma propre expérience, mon histoire. C’est voulu pour faire écho auprès du public.
Je suis beaucoup moins tendu sur scène qu’en compétition car les enjeux ne sont pas les mêmes
Travailler la mémoire a été un challenge ?
Ça a été beaucoup de travail mais je m’y attendais. Le travail sur scène a été plus dur. J’ai été challengé pendant plusieurs semaines sur mon jeu, mon placement, mon lâcher prise, sur ma manière de ponctuer les phrases. Seul face à un metteur en scène pendant plusieurs semaines de répétition, j’avais l’impression d’être un punching-ball, dans le sens où tous les retours m’étaient destinés. J’étais le seul à apprendre à recevoir des conseils et à la fin de la journée je me disais : ça fait beaucoup d’informations pour un seul homme.
Entre un athlète et un artiste, voyez-vous des similitudes ?
Il y en a dans la manière de mener des projets à leur terme. De les penser, de s’entourer, de répéter, de voir s’approcher une échéance, de devoir donner le meilleur possible dans un temps imparti. Ce sont des aspects dans lesquels je n’ai pas été perdu. On m’a souvent dit que j’avais vite appris, vite intégré. Je ne considère pas forcément avoir un talent pour le spectacle mais plutôt des mécanismes acquis au cours de ma carrière de haut niveau.
Vous dites ne pas avoir le trac…
Je suis beaucoup moins tendu sur scène qu’en compétition car les enjeux ne sont pas les mêmes. Il y a une tension, c’est indéniable, mais je n’ai pas la sensation de jouer ma vie dans un spectacle comme au départ d’une course de ski.
Hors piste est drôle ou sensible ?
Je l’ai conçu comme un récit de carrière de sportif de haut niveau. Des moments sont drôles et d’autres sont marquants ou inspirants. Quand j’ai écrit le spectacle, les retours qui m’étaient faits évoquaient une palette d’émotions, du rire aux larmes. Pour ma part, je l’ai voulu émouvant et sincère.
Quelle a été votre plus grande joie d’athlète ?
La poursuite des J.O. de Sotchi a été un évènement marquant dans ma carrière, sans doute le moment d’émotion le plus fort de ma vie.
Et votre plus grande peine ?
Ce n’est pas vraiment une peine mais un moment touchant - que je raconte sur scène - est la relation avec mon frangin qui s’est trouvé endolorie par une confrontation qu’on n’avait pas vu venir ni même imaginée. Ce rapport à l’adversité entre frères, qui a été une découverte sur ma carrière sportive, est sans doute le moment le plus étrange que j’ai eu à surmonter.
Après la scène, le cinéma ?
J’ai lancé ce projet sans avoir aucune visée derrière. Mais je ne vais pas mentir, je prends du plaisir dans cet exercice. Si un jour une sollicitation me parvient, je l’étudierai avec attention. Je ne ferme la porte à aucune opportunité.
Propos recueillis par Nathalie Truche