Ancien journaliste, producteur à ses heures, Emmanuel Cuénod a pris la télécommande du Festival Tous Écrans en 2013. La manifestation genevoise aborde l’audiovisuel sous toutes ses formes à travers des projections, des débats et des moments de convivialité. Décryptage.
Quelle ligne éditoriale avez-vous suivie au lendemain de votre nomination ?
Ma volonté a été de ramener le cinéma dans la manifestation, tout en renforçant notre travail sur la télévision. Nous y avons ajouté beaucoup d’objets de culture digitale afin de couvrir l’ensemble des nouvelles tendances audiovisuelles. Nous avons été l’un des tout premiers festivals au monde à intégrer du transmédia dans la compétition, à élaborer un programme autour de la réalité virtuelle.
Que vous a apporté votre déménagement au Pitoëff ?
Grâce aux salles de cinéma, au restaurant, au bar, nous proposons un programme plus festif, des soirées qui peuvent durer tard dans la nuit. Cela permet de mélanger davantage les publics, de les rajeunir. Les gens peuvent venir, se rencontrer, voir des films, des séries, du digital, mais ils peuvent aussi se restaurer, boire un verre. La convivialité est notre maître-mot. Le festival est aujourd’hui une vraie parenthèse culturelle.
Quelques mots à dire sur The Assassin, le film d’ouverture…
Nous en sommes très fiers. Nous sommes aussi heureux de constater que les distributeurs, les vendeurs de films internationaux font confiance au festival. The Assassin est le film emblématique de cette trajectoire. Il a reçu le prix de la mise en scène à Cannes, il est somptueux et picturalement, c’est un film très impressionnant. On y retrouve toute la délicatesse dans la peinture des sentiments du cinéma de Hou Hsiao-Hsien.
Le festival va aborder la pratique du journalisme immersif. Quelle vision en avez-vous ?
Une vision assez incomplète car c’est une nouvelle pratique que l’on essaie de faire découvrir et qui contribue – de mon avis de journaliste – à ouvrir plus encore le champ des possibles. Ce mode d’enquête apporte quelque chose de nouveau : la sensation physique qui permet une identification totale au sujet. Mais ce dispositif comporte aussi un risque : quand on se trouve complètement dans l’événement, a-t-on encore le recul nécessaire pour l’analyser ? Ne perd-on pas la capacité à expliquer le monde ? Ne perd-on pas la distance nécessaire qui permet de ne pas subir le cours de l’actualité mais de le réordonner ? C’est pour cette raison que nous voulons montrer les projets de journalisme immersif. Mais aussi organiser une table ronde sur le sujet. Il faut comprendre comment on va utiliser ces moyens à bon escient.
Si vous pouviez créer un festival sur mesure, qu’y verrait-on ?
Il ressemblerait beaucoup à South by Southwest, à Austin aux États-Unis. Un festival qui mélange cinéma, culture digitale et musique. Les gens n’y font pas de hiérarchie entre toutes ces pratiques mais s’y intéressent pour ce qu’elles sont, pour ce que chaque format permet en termes d’art, en termes d’expression pour un auteur. Et tout ça fonctionne parfaitement. Pour Genève, je rêve d’un festival qui comprendrait toutes les cultures numériques, du son comme de l’image. Ce serait un South by Southwest sauce vieux monde. On a la possibilité, les compétences, les structures et les talents pour réussir une telle opération.
Le film que vous auriez rêvé de produire ?
J’ai la chance d’exercer un peu le métier de producteur que j’aime beaucoup et je dois avouer que je préfèrerais produire des gens que des films. Derrière les films, il y a toujours des aventuriers. J’aurais aimé faire un petit bout de route avec Visconti ou Pasolini. J’aurais aussi pu produire un film de Chabrol juste pour aller manger avec lui. C’est davantage la rencontre qui m’intéresse, pour la force de certaines personnalités, leur magnétisme. Voir comment les cinéastes structurent leurs films me fascinerait.
Propos recueillis par Nathalie Truche