En fonction depuis décembre 2023, le Nîmois Bertrand Salanon succède à Salvador Garcia qui a dirigé Bonlieu Scène nationale pendant un quart de siècle. Autre génération, autre parcours… pour une autre programmation ? Réponse avec le nouveau directeur de BSN.
Qui êtes-vous en quelques mots ?
J’ai grandi à Nîmes et poursuivi mes études à Montpellier puis à Grenoble. Mon parcours entier s’est fait dans le théâtre public. J’ai commencé en compagnie de danse, dont celle de Rachid Ouramdane à ses débuts. J’ai ensuite travaillé au sein d’une scène nationale, à Saint-Nazaire, et dirigé le Théâtre Universitaire à Nantes. Là, j’arrive de Strasbourg où j’ai accompagné pendant neuf ans Stanislas Nordey à la direction du théâtre national, en tant que délégué aux projets artistiques.
Pourquoi avoir postulé à Annecy ?
Il y a plusieurs raisons. D’abord le fait que Bonlieu est un théâtre d’excellence, ouvert sur l’Europe et sur le monde, qui place la création contemporaine au centre et rencontre le public avec succès. C’est un théâtre qui a la capacité d’accompagner ensemble les artistes et le public. Et puis, il y a Annecy, la situation géographique, sa dimension transfrontalière avec la Suisse et dans une autre mesure, avec l’Italie.
Que souhaitez-vous apporter de plus ou de différent
au public ?
Comme je l’indiquais, Bonlieu est une belle est grande « maison » que Salvador Garcia a su mener à un endroit de développement très fort. La pierre que je poserai est une éditorialisation peut-être un peu plus affirmée autour du rapport au vivant, cultivé par les chemins du sensible. Les questions écologiques vont irriguer une partie des propositions. L’accompagnement de la création et la question européenne seront aussi très présents.
Comment accompagnerez-vous les artistes ?
Je veux aller un peu plus loin. J’aimerais asseoir au mieux leur présence dans les murs, avec d’abord l’idée d’accompagner leurs gestes. Mon métier d’origine est producteur, ce qui m’intéresse, c’est de porter avec eux le défi de la création. C’est pourquoi je serai accompagné par trois artistes associés avec qui je souhaite penser artistiquement l’institution : la chorégraphe Maud Blandel, le metteur en scène Gwénaël Morin, et Making Waves, un « duo radiophonique » dirigé par Amélie Billault et Alexandre Plank. Je les ai aussi choisis pour leur capacité à partager ce geste et à le démocratiser.
Quels seront vos liens avec le théâtre de Chambéry ?
Il y a une attache historique avec la Scène nationale de Chambéry dont je connais très bien la nouvelle directrice Frédérique Payn. Nous œuvrerons ensemble au pôle européen de production et plus spécifiquement sur l’idée d’un mode itinérant dans le champ chorégraphique et des arts du geste. Mais nous avons encore besoin de travailler ces projets. Il y a aussi des artistes associés dont je suis très proche, comme Nathalie Béasse ou Antoine Cegarra. Des complicités vont se nouer sous cet angle-là et sur l’invitation, sans doute, de grandes formes européennes dans l’intention de les faire circuler sur nos scènes.
Et avec les scènes suisses ?
J’ai des liens anciens avec Vincent Baudriller et Caroline Barneaud à Vidy-Lausanne et avec Séverine Chavrier à la Comédie de Genève, qui est une artiste formidable, que j’ai beaucoup accompagnée au Théâtre National de Strasbourg. Nous continuerons à collaborer ensemble à l’endroit de son travail à elle mais aussi à l’endroit de ce qu’elle va déployer à Genève et moi à Bonlieu. Avec Vidy, nous allons poursuivre la Plateforme européenne de production scénique. Comme je l’évoquais précédemment, nous nous pencherons sur les sujets de durabilité, les questions écologiques, de l’accessibilité, de l’inclusion. Je commence tout juste les discussions et les réunions avec les uns et les autres.
Par quels biais pouvez-vous renforcer
les projets européens ?
L’objectif est déjà de les poursuivre. Quant à les renforcer, le désir est là, pour le reste, c’est une question de moyens. Ces moyens existent avec les programmes Interreg. Mon vœu serait de les développer en allant par exemple sur des projets Europe Créative, ce qui conduirait à élargir la zone géographique de collaboration car un partenariat d’un minimum cinq pays est nécessaire. Il y a sans doute quelque chose à creuser autour de l’arc alpin : la Suisse, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, la Slovénie... C’est une première piste mais j’ai des complicités avec d’autres pays européens, comme la Belgique, le Portugal et la Hollande.
Je ne me situerai pas dans une rupture mais dans une forme de prolongement
Quelle sera la tonalité de votre programmation ?
La programmation de Bonlieu à ceci de formidable qu’elle réunit des spectacles fédérateurs, des formes généreuses, qui s’adressent à tout le monde et que le public attend, avec des propositions plus aventureuses, exigeantes ou expérimentales. J’ai envie de continuer sur cette base qui est extrêmement solide. Je vais sans doute amener d’autres couleurs, d’autres influences, parce que mon parcours, mon histoire et mes rencontres sont différents. Je continuerai avec des artistes comme Rachid Ouramdane, Christian Rizzo, Fanny de Chaillé et j’en inviterai d’autres. Je ne me situerai pas dans une rupture mais dans une forme de prolongement, de renouvellement, d’élargissement. Pour reprendre une formule un peu convenue, il y aura une certaine continuité dans le changement. Je ne suis pas dans une volonté de renverser la table car il n’y a pas lieu de le faire. Nous allons nous appuyer sur les atouts de Bonlieu et en apporter d’autres.
Quel spectacle attendez-vous avec gourmandise ?
« Sur l’autre rive » de Cyril Teste, en mai 2024. Sa précédente création à Bonlieu, « La Mouette », était vraiment très réussie. Elle avait quelque chose de réellement surprenant. Alors forcément, j’ai hâte de rencontrer sa proposition, surtout avec un auteur comme Tchekhov qui est régulièrement mis en scène. La force de Cyril Teste c’est qu’à la fin de son spectacle, on ne se dit pas « tiens, un Tchekhov de plus ». C’est un artiste très intéressant, qui nous ménage une certaine surprise.
Avez-vous un rêve fou pour Bonlieu Scène nationale ?
Fou… je ne sais pas. J’aimerais proposer un festival en quatre temps, en suivant le rythme des saisons. Créer des temps festivaliers sur trois-quatre jours intenses, les fabriquer en complicité avec les artistes associés ; aborder différemment la façon dont on habite le théâtre ; réfléchir au moyen d’investir l’espace physique pendant quatre jours, en imaginant des usages en journée mais aussi sur une nuit blanche. Pour le moment, il s’agit seulement d’un cadre que j’ai besoin de travailler encore avec les artistes. L’idée serait aussi d’inviter à chaque fois une structure culturelle de la ville : Le Théâtre des collines, le Brise-glace, L’Auditorium Seynod… Ces projets, c’est l’idée de faire un pas de côté, de renverser les approches.
Propos recueillis par Nathalie Truche