Faite pour durer dans le temps et remplir une fonction, l’architecture voit aujourd’hui ses codes changer à l’heure de l’éphémère.
Depuis la nuit des temps, la construction répond à des objectifs simples, relevant notamment de sa pérennité, de sa résistance au temps et aux intempéries, et de son adaptation au rôle que le bâtiment en question doit remplir. Un objectif allant de paire avec la discipline, mais qui possède également une seconde facette prenant de plus en plus d’ampleur à l’heure actuelle : l’architecture de l’éphémère. Oubliant ses fonctions premières, ne prenant plus en compte la question de la résistance au temps qui passe, ni de l’utilité, elle se présente à l’inverse comme une performance. Aux Etats-Unis, le festival Burning Man représente à merveille cette tendance. Se déroulant sur seulement quelques jours, l’événement prenant place au milieu du désert du Black Rock, dans le Nevada transforme un néant en une foire des arts à ciel ouvert. Si les œuvres imaginées par des artistes du monde entier sont disséminées en nombre sur le site, l’architecture a elle aussi sa place.
Lors de l’édition 2023 du festival mythique, perturbé par des pluies torrentielles, deux créatifs avaient été sélectionnés pour réaliser le temple du festival, lieu traditionnel de l’événement. Baptisé Temple of Heart - temple du cœur - il est le projet conjoint de l’artiste polonaise Ela Madej, installée à San Francisco, et du concepteur d’espaces spécialisé dans la santé spirituelle, Reed Finlay, lui aussi basé en Californie. Le duo s’unit alors pour imaginer une structure des plus imposantes, à l’architecture d’apparence fragile et délicate. Culminant par sa flèche à 25 mètres de hauteur, le temple fait de panneaux de bois sculptés se déploie comme une fleur à douze pointes sur le sable du désert dans un motif géométrique maîtrisé rappelant une figure d’origami. En son centre trônait une colonne de fleurs elles aussi sculptées dans le bois, prenant le rôle d’autel spirituel des lieux. Au total, ce sont 640 panneaux de bois qui ont été nécessaires à cette construction, chacun d’entre eux sculpté par découpe laser dans un des dix motifs floraux designés par les deux architectes du projet. Le résultat donne l’impression d’un temple réalisé en dentelle de bois, laissant passer la lumière, et ne répondant ici donc pas à la fonction d’abris, mais s’inscrivant dans un rôle plus conceptuel. S’ancrant dans une démarche à la fois créative et spirituelle, le festival développe tout particulièrement ces concepts dans son temple. Ela Madej et Reed Finlay décrivaient leur projet ainsi, « un lieu de méditation, de deuil et de rassemblement des gens, avant et après son achèvement », avant d’ajouter sur le rôle de l’architecture dans notre société, « Ce projet révèle du potentiel réel et profond de l’architecture; d’être un véhicule pour la guérison personnelle et une manière de tous nous rassembler ». Des mots rappelant le rôle des édifices religieux, mais contrebalancés par le caractère éphémère du temple.
En effet, celui-ci a été brûlé à la fin du festival, respectant la tradition de l’événement. Un non-sens au regard de la crise climatique actuelle et de la diminution des ressources, que les organisateurs compensent par la plantation d’arbres, mais qui témoignent de la volonté de faire de l’architecture une discipline ne se contentant pas seulement de servir à un rôle pérenne. Un exemple de l’éphémérité dans l’univers du bâti qui vient poser la question d’une architecture performative, et non plus utilitaire. Une tendance qui se développe à travers le monde, et via des festivals porteurs de différents projets, venant redéfinir la discipline et le rôle même de l’architecte.
Aurore De Granier