Projet porté par André Manoukian, la Maison des Artistes à Chamonix affiche une double vocation : dédié à la création musicale, ce repaire de talents abrite également un café bar club où se produisent les artistes en résidence. Interview d’un doux rêveur qui assume son caractère mi-poète, mi-barré.
Tout d’abord, comment va Cosmojazz ?
Cosmojazz est un événement peu ordinaire dans le monde des festivals, une occasion unique de jouer en altitude, de se produire chaque jour dans un lieu différent parmi les plus beaux sites de la vallée de Chamonix. C’est là que je me suis installé avec ma famille. Enfin… C’est plutôt ma femme qui, après nos vacances chamoniardes, m’a annoncé qu’elle avait inscrit les enfants à l’école ici. Je n’étais pas contre l’idée mais la musique me manquait. Je suis allé voir le maire avec mon projet de festival. Aucune salle n’était disponible sur la commune. J’ai proposé de l’organiser en altitude, il m’a dit banco. Au fil des années, le festival est passé de trois à neuf jours. On me dit que l’événement est en train de devenir l’un des plus beaux spots de concerts au monde. Cette configuration renoue avec l’expérience mystique du chaman, du sorcier, du musicien dans les tribus premières qui s’adresse aux esprits. L’objectif était de remettre les musiciens dans cette posture : la communication avec la nature.
La Maison des Artistes est née dans la foulée ?
Entre deux Cosmojazz, nous retombions un peu dans le vide en termes artistiques. En basse saison, Chamonix compte 10 000 habitants. L’hiver et l’été, ce sont plus de 40 nationalités et 100 000 personnes qui circulent dans la vallée. Je pensais qu’il y avait quelque chose à faire ici. La mairie m’a parlé de l’ancienne maison de Maurice Herzog, plantée au milieu d’un immense parc. C’est dans cet endroit rêvé que nous nous sommes installés avec mon associé Pascal Armand.
Que recèlent ces lieux de rêve ?
Un studio d’enregistrement que nous mettons à disposition des artistes. La résidence est gratuite : les musiciens viennent enregistrer leur musique et repartent avec leur bande. La Maison leur appartient et en échange, ils nous offrent deux jours de concert le vendredi et le samedi soir. Ils sont accueillis dans des conditions idéales, disposent de chambres somptueuses avec vue sur le Mont-Blanc et d’un matériel ultra performant. Ça fonctionne tellement bien qu’on est complet jusqu’en septembre.
Comment s’opère la sélection ?
Dès qu’un projet est beau, il a sa place. Nous accueillons un artiste par semaine d’ouverture, soit 44 par an. Nous recevons des jeunes talents mais aussi des gens connus et reconnus comme Omar Sosa ou Guillaume Perret. Nous nous ouvrons également un peu à d’autres styles que le jazz : chant, folk, blues… Nous ne sommes pas un piano bar qui cherche des musiciens pour l’ambiance. Nous proposons de la qualité, des projets qui se tiennent bien. La Maison des Artistes est une sorte de villa Médicis du jazz. Et aujourd’hui, on pousse le bouchon un peu plus loin pour les artistes qui, après avoir enregistré, se retrouvent dans la nature avec leur disque. Cet été, nous avons lancé un Kiss Kiss Bank Bank et créé le label discographique Mad Chaman. Par les temps qui courent, c’est osé. Nous signerons cinq artistes par an parmi lesquels des talents locaux comme Doytcheva, Lucile Marchal et Sandro Compagnon.
Un vœu pour 2017 ?
Que la Maison des Artistes perdure. Le modèle du café bar club n’est pas facile. Nous avons besoin de mécènes, de sponsors. J’ai monté le projet sans attendre l’aide de personne. Aujourd’hui, il ne faut plus compter sur les subventions culturelles puisqu’elles sont les premières variables d’ajustement dans le budget des régions. Nous recherchons donc un coup de main de partenaires privés. Le truc chouette c’est de pouvoir écouter des artistes chaque samedi soir et le côté moins amusant, c’est de partir à la chasse au financement. Ça me ramène dans le monde réel…
Propos recueillis par Nathalie Truche