Parallèlement à sa vie de comédienne et réalisatrice, Agnès Jaoui mène une carrière de chanteuse. Accompagnée de Roberto González Hurtado et Fernando Fiszbein, elle propose un répertoire aux sonorités et rythmes latins. Le 7 décembre à Bonlieu, le trio présentera un concert aux frontières de l’acoustique, entre amis.
Vous avez une formation dans le théâtre et, c’est moins connu, dans le chant aussi…
Oui, j’ai débuté très tôt : les cours de théâtre dès mes 14 ans et le conservatoire de musique à 16 ans. Cette formation m’a happée, émerveillée. Je suis surtout entrée dans un rythme qui m’a apaisée. Au conservatoire, vous commencez à peine à avoir le droit de chanter à 17 ans, quand il devient possible de travailler la voix sans lui faire de mal. Il faut beaucoup patienter avant de pouvoir s’exposer. Pour une actrice, le temps passe généralement très vite. Avec la musique, c’est un peu l’inverse. Elle est restée mon jardin secret pendant de nombreuses années et ça m’allait très bien comme ça.
POUR UNE ACTRICE, LE TEMPS PASSE GÉNÉRALEMENT TRÈS VITE. AVEC LA MUSIQUE, C’EST UN PEU L’INVERSE.
Vous avez donc toujours chanté et le grand public l’ignorait…
En France, l’art de la comédie musicale est peu développé, les disciplines restent cloisonnées, on passe moins facilement de la chanson au cinéma. J’ai commencé très tôt le chant classique, puis j’étais actrice, je me suis mise à écrire, à mettre en scène. Du coup, je n’étais pas vraiment frustrée de ne faire mes concerts qu’entre amis. Soit dans les églises quand il s’agissait de musique classique, soit dans les bars pour de la musique populaire. Puis un producteur m’a entendue et m’a suggérée de monter sur scène, d’enregistrer des disques. Je me suis dit pourquoi pas.
D’où vient votre attirance pour les musiques latino-américaines ?
Au départ, elle est inexplicable, si ce n’est la sensualité et le fait que ces musiques se chantent souvent ensemble, en groupes, à la tierce, notamment à Cuba. C’est ce que nous faisons avec Fernando et Roberto et cela m’émeut terriblement. Ça me fait croire en l’être humain parce que soudain, les voix se superposent pour donner quelque chose de miraculeux. Je pense à la musique classique, à la musique baroque autant qu’aux Beatles. C’est émouvant quand des gens font pacifiquement des sons ensemble. C’est un pouvoir incroyable que de toucher à ce point-là en ayant besoin de rien, à part des voix et une envie.
Comment s’est formé votre trio avec Roberto González Hurtado et Fernando Fiszbein ?
J’ai rencontré Roberto à Cuba. Il jouait de la musique dans un club atroce à Varadero. Je déconseille l’endroit mais le concert était beau. J’ai suivi le groupe, on a fait de la musique ensemble et lorsqu’il est venu à Paris, j’ai cherché des musiciens avec qui il pourrait jouer dans les bars. C’est comme ça que nous sommes tombés sur Fernando qui lui, possède une culture très savante : il a fait le CNSM*, il est compositeur de musique contemporaine. Nous nous sommes très bien entendus et travaillons ensemble depuis vingt ans. Fernando a même composé la musique de mes deux derniers films. C’est une longue et intense collaboration.
Sur scène, êtes-vous quelqu’un d’autre ?
C’est un peu bizarre, je suis à la fois une autre et complètement moi-même. Peut-être à cause de mes origines. Bien sûr, je me sens très parisienne, totalement française mais je viens du sud. Par exemple, quand je suis allée à Cuba, j’ai reconnu la Tunisie de mes parents. J’ai l’impression d’avoir des identités multiples. Sur scène, plein de femmes m’habitent en plus de moi : une héroïne d’Almodovar, une chanteuse arabe, Pauline julien, Piaf ou Barbara…
Y-a-t-il des points communs entre chanter et jouer ?
C’est pareil. Le procès fait à une époque sur les actrices chanteuses était un faux procès car au contraire, tout comédien doit savoir chanter. Ou plutôt, il devrait avoir une voix plus ou moins développée, car dans les deux cas, c’est la même recherche du rythme et de la justesse. Il faut savoir interpréter un auteur pour le transmettre au public. Quand je dirige quelqu’un, je lui parle des silences, des temps, des soupirs, des demi-soupirs entre les mots. Ça change tout : une phrase peut être drôle ou pas selon la façon dont elle est dite. Pour moi, chanter et jouer sont très similaires.
Vous retrouvera-t-on bientôt devant ou derrière la caméra ?
Deux tournages sont prévus en avril : un film de François Favrat avec Pio Marmaï et un autre d’Étienne Comar. On ne me verra donc pas sur grand écran avant au moins un an. Avec Jean-Pierre (Bacri), nous sommes en train d’écrire mais loin d’avoir fini. Nous sommes lents car nous avons toujours écrit le plus librement possible. Notre grand luxe, c’est le temps.
*Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris
Propos recueillis par Nathalie Truche