Après Mediterranea et A Ciambra, le réalisateur italo-amréricain Jonas Carpignagno nous emmène une nouvelle fois dans la ville calabraise de Gioia Tauro. Et cette fois-ci, c’est à travers l’histoire du passage de l’enfance à l’âge adulte d’une adolescente à qui son innocence est volée dans le drame familial qui se joue devant ses yeux.
Jonas Carpignagno nous plonge une nouvelle fois dans l’univers de la petite ville calabraise de Gioia Tauro. Après nous avoir raconté l’histoire des réfugiés nord africains dans Mediterranea et celle d’une famille de gens du voyage dans A Ciambra, il tourne maintenant sa caméra vers une adolescente grandissant en toute innocence dans cet univers où la pauvreté, la violence et le racisme forment le tissu social. C’est sans surprise que nous retrouvons alors les plans sans fioritures ni vernis du réalisateur qui nous plonge dans ce monde presque à part, où la communauté suit des règles silencieuses, où la mafia est omniprésente. Cette dernière thématique est celle qu’il a choisi pour ce troisième volet dans la ville calabraise, mais durant le film le mot est à peine mentionné.
Le long métrage s’ouvre sur une scène de fête, où l’on découvre la famille de la jeune Chiara. La joie est maîtresse, les rires, la musique, les conversations animées et les lumières scintillantes nous font croire à un monde parfait. Et nous nous laissons prendre dans cette illusion en suivant le personnage de Chiara qui traverse la vie comme une adolescente : innocente, heureuse dans son cocon familial composé de ses parents et de ses deux soeurs, entourée de ses amis.
Comme dans les deux premiers longs métrages du réalisateur italo-américain, l’histoire met du temps à s’installer. Des scènes quotidiennes, bruyantes et animées prenant place dans la première moitié du film, où le quotidien est dépeint avec un naturel et une facilité qui nous donne la sensation d’observer une famille belle et bien réelle. Nous nous laissons happer par ces mondanités et cette vie d’apparence banale, jusqu’à la fête d’anniversaire des 18 ans de la sœur de Chiara. Encore une fois, l’heure est à la joie et aux rires, mais rapidement l’ambiance change, et le film prend un tout autre rythme. La capacité de Jonas Carpignagno à dépeindre le commun, à nous faire entrer dans la vie d’une famille - dont tous les acteurs sont des amateurs n’ayant jamais pris un cours de comédie, y compris la tête d’affiche du film jouée par Swamy Rotolo - semble encore plus poignant que dans ses deux premiers longs métrages, alors que l’innocence de l’adolescente va partir en fumée sous nos yeux.
Le ton change. Chiara surprend les membres de sa famille au beau milieu d’une conversation animée lors de la soirée d’anniversaire, et le chaos commence quand la fête se termine et que la jeune fille voit la voiture de son père exploser en pleine rue tandis qu’il disparait subitement. Le lendemain matin à son réveil, rivée aux réseaux sociaux, elle découvre que son père, dealer de drogues pour la mafia calabraise, au plus bas de l’échelle, est un fugitif recherché. En l’espace d’une minute, le film bascule dans le drame familial tandis que les secrets se dévoilent à la jeune fille.
Si la musique dans la première moitié du long métrage était omniprésente, elle le reste par la suite mais le registre de la fête et du quotidien familial change pour une bande-son étouffante, conférant une toute nouvelle atmosphère à l’histoire. Se sentant trahie par sa famille, infantilisée alors qu’elle était la seule à ne pas connaitre la vérité, Chiara décide de dévoiler tous ces secrets et de partir à la recherche de son père dans une épopée qui symbolisera son passage à l’âge adulte.
Jonas Carpignagno parvient avec brio à dépeindre les enjeux et les choix auxquels est confrontée la jeunesse dans une ville rongée par le crime organisé. Chiara, interprétée avec brio par Swamy Rotolo, nous entraine dans cette tornade d’émotions où à chaque nouvelle minute la jeune fille devient de plus en plus adulte. Vrai, sincère, et poignant, A Chiara convainc sans difficulté à travers un récit d’une vie sans vernis pour une expérience cinématographique inoubliable.