Sur la commune de Veyrier, au cœur du canton de Genève, la Villa Sandmeier s’élève comme une bâtisse au fort caractère. Imaginé par les architectes Lacroix Chessex, ce projet s’est révélé être un véritable défi en raison de la petite parcelle à disposition. Malgré cette forte contrainte, la Villa Sandmeier se distingue par son caractère sculptural et la force de ses formes. Entre influences japonaises, hommage au Corbusier et relation à l’espace extérieur, la maison a su conquérir le coeur des suisses, récompensée en 2018 par un Prix du Public. Rencontre avec Hiéronyme Lacroix, l’un des architectes à l’origine de ce projet.
Pouvez-vous nous raconter l’histoire de cette villa ? Quelle était la demande des propriétaires et comment l’avez-vous appréhendée ?
Ce qui était particulier, et intéressant avec ce projet, c’était la parcelle sur laquelle il allait être construit. Le terrain a été divisé entre plusieurs héritiers, et l’un d’entre eux a décidé de détacher sa parcelle du reste. Mais celle-ci était dans un sale état. Il y avait un vieux garage à voitures, des tas de ronces, la végétation avait pris le dessus. Et, aspect non négligeable, elle était très petite, pas plus de 700 m2. Le propriétaire souhaitait construire une maison qu’il mettrait par la suite en location, et ne connaissait pas grand-chose à l’architecture contemporaine mais avait quelques idées, et voue notamment une passion à l’art japonais et l’art primitif. Il était donc important pour nous de concevoir une maison qui lui ressemblait tout en lui faisant une proposition adéquate pour ce terrain à la taille très limitée. Le propriétaire nous a fait pleinement confiance, et nous avons énormément communiqué durant la réalisation du projet pour aboutir à cette version finale.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont ce bâtiment a été conçu au niveau architectural ?
Le projet repose sur trois tables de béton superposées. Le manque d’espace pour exprimer l’architecture nous a motivé à penser une structure forte, et les tables ont permis de trouver le caractère japonais si cher au propriétaire. La première plaque émerge du sol et permet de faire entrer la lumière dans le sous-sol qui abrite une chambre d’amis. Cette légère élévation donne la sensation de flotter dans le paysage, mais donne également un aspect plus monumental à cette villa qui ne fait que 140 m2. Chacune des tables vient isoler les différents étages de la maison, espaces de vie diurne au rez-de-chaussée, et de vie nocturne à l’étage, tandis que le toit est inversé avec une table pliée vers l’intérieur qui donne la sensation d’une pagode de béton. La gargouille vient compléter l’ensemble d’un élément qui n’est pas sans rappeler le Corbusier, tandis que le bassin de récupération évoque lui aussi les jardins japonais, et offre une belle cascade les jours de pluie. Une quatrième table a été utilisée pour l’espace garage de manière à conférer une certaine unité au lieu.
La plus grande difficulté avec ce projet était sans équivoque la taille de la parcelle. Mais malgré cela, nous avons réussi à exploiter l’extérieur et l’intérieur de sorte que chaque élément fasse sens et s’adapte à la vie quotidienne tout en conférant à la villa un caractère sculptural, spécial, et résolument expressif.
Vous avez principalement travaillé avec le béton, injectant des éléments de bois, qu’est-ce qui a motivé ces choix de matériaux ?
Le béton a été choisi pour son caractère économique. C’est une maison qui si l’on veut a été construite à l’ancienne (continuité des dalles entre intérieur et extérieur), et ce matériau permet de faire d’importantes économies. Ce choix constructif et économique participe au final au caractère de la maison qui prend des allures de projets du Corbusier.
L’emploi du bois en façade, du mélèze en l’occurence, était une demande du propriétaire qui ne comprenait pas l’absence de menuiserie, de volets. Je trouve maintenant que le bois apporte quelque chose de très intéressant à la structure, c’est un couple qui fonctionne très bien.
Comme vous le disiez cette maison a été construite pour être louée, est-ce que son architecture très contemporaine et loin d’être banale a rendu la location compliquée ?
Au contraire. Je pense que l’une des erreurs que font les promoteurs immobiliers en construisant des villas vouées à la location est de construire des bâtisses très basiques, uniformes, qui se ressemblent toutes et n’ont pas de caractère.
À l’inverse la Villa Sandmeier est unique en son genre, et c’est cette originalité qui a rendu sa location très aisée. Le propriétaire n’a eu aucune difficulté à trouver des locataires, car les gens recherchent ces pépites, cette différence même s’ils ne sont pas propriétaires des lieux. Je crois que le fait que nous ayons remporté le Prix du Public dans le concours de la Meilleure maison individuelle en Suisse en dit long sur la question. Il faut à tout prix arrêter de penser que l’architecture contemporaine est réservée à un public niche, ce type de bâtiment plait à bien plus de personnes que l’on se laisse à penser.
La relation à la nature était également importante pour vous, notamment en raison de la situation du terrain qui offrait une vue sur le Salève. Comment avez-vous pensé cette relation entre extérieur et intérieur ?
Il était impensable de ne pas exploiter cette vue sur le Salève. Elle était cachée par les végétaux, et nous avons donc dû élaguer, et orienter la maison en direction de la montagne. Le champ sur lequel elle donne ne sera jamais construit, donc nous avons la garantie de conserver cette vue imprenable. C’est pour cette raison que les baies vitrées sont nombreuses, mais ne constituent pas toutes les façades car la maison doit également être un lieu de vie, il ne faut pas l’oublier.
Propos recueillis par Aurore De Granier
Photos crédits : Joël Tettamanti